Amérique latine, il était une fois la démocratie

Publié le par Adriana Evangelizt

Amérique latine, il était une fois la démocratie

par Jean-Jacques Kourliandsky

Il y a de cela quelques années, très loin donc dans notre monde médiatisé à l'extrême, l'Amérique latine vivait une longue parenthèse autoritaire. Du centre, du Guatemala, au sud patagonien, argentin et chilien, on embastillait et on torturait les hommes et les libertés. Cet " Etat de siège " politique et institutionnel indignait les peuples et comme on dit aujourd'hui, " la communauté internationale ".

Les peuples latino-américains ont retrouvé leurs libertés. Le domino démocratique a fait basculer les unes après les autres les dictatures qui paraissaient les mieux enracinées. Certaines au Brésil et au Chili, ont aménagé leur repli et leur effacement. D'autres ont été contraintes en Argentine ou au Nicaragua, par les circonstances à plier bagage plus rapidement. Les nouveaux titulaires du pouvoir, ici et là, ont remis les valeurs démocratiques et électorales à l'ordre du jour. A tel point que le Mexique, qui pendant longtemps avait pratiqué l'élection participative au bénéfice du seul PRI (Parti de la Révolution Institutionnelle) s'est mis à l'unisson. C'était en 2000, un tournant de siècle. Cette année là, seuls Cuba et Haïti, restaient figés dans leur passé, l'un dans la dictature du prolétariat et l'autre dans un désordre national historique.

Mais lassés par une liberté chérie, certes retrouvée avec plaisir, mais qui ne leur apportait pas de satisfaction sociale, les peuples ont bousculé dirigeants et partis traditionnels. Action démocratique et Copei (la démocratie chrétienne) ont été électoralement remerciés par les vénézuéliens dés 1998. Huit ans plus tard, l'Amérique latine a suivi, presque partout, le mouvement. Les partis traditionnels ont été sanctionnés au Brésil, en Bolivie, en Uruguay. Des forces inattendues, longtemps considérées comme décoratives, voire extraparlementaires, et des responsables jusque là improbables sont entrés dans les palais législatifs et présidentiels. Ailleurs, au Costa-Rica, à Panama, au Pérou, le centre-gauche a chassé la droite. Partout, les tenants de la rigueur et de la libéralisation économique ont été sanctionnés. Il faut dire que ces politiques connues en Amérique latine sous l'appellation de consensus de Washington, ont pendant des années maintenu la tête des plus pauvres sous la ligne de flottaison sociale. La lecture du rapport 2005 du PNUD, le Programme des Nations unies pour le développement est éloquente. Les 10% les plus riches de la population latino-américaine perçoivent un revenu de 45 à 59 fois plus élevé que celui des plus pauvres. A titre de comparaison le rapport est en Europe de 25, dans les pays scandinaves à 36, au Royaume-Uni (1) et 40 aux Etats-Unis.


L'Amérique latine est-elle comme aurait pu le proclamer un Pangloss du XXIème siècle entrée " dans le meilleur des mondes possibles " ? La cocotte minute populaire et politique curieusement continue à fabriquer une vapeur qui ne trouve pas toujours à sortir en temps et en heure. Ca siffle, à droite, ça siffle à gauche, et le bateau démocratique " Amérique latine " recommence à donner des signes de fatigue. Le social par la force des choses est aujourd'hui officiellement la priorité des priorités gouvernementales. De la " Bourse famille " brésilienne, aux " Missions " vénézuéliennes, l'imagination est au pouvoir. Les plus pauvres en sont généralement reconnaissants. Ils s'apprêtent à le confirmer au Brésil le 1er octobre. Pourtant, pourtant, on constate ici, en Argentine, là en Bolivie, et au-delà au Mexique et au Venezuela, des signes de lassitude démocratique.

La pression sociale est très forte. Certains électeurs exigent de leurs dirigeants beaucoup, et tout de suite. Ils passent assez vite, comme en Bolivie, des bureaux de vote aux manifestations. D'autres refusent de sacrifier leur position dominante, rejettent les compromis sociaux proposés par les gouvernements. Ils prennent comme en Bolivie et au Venezuela, eux aussi la rue après avoir été sanctionnés dans les urnes. Il y a enfin des situations à part. Celle que vit par exemple le Mexique, où les pauvres sont entrés au mois de juillet 2006, à l'issue des présidentielles, en contestation indéfinie.

Les dirigeants sont tentés de prendre des raccourcis démocratiques pour répondre au plus vite à l'attente des exclus, et à la contestation des nantis. Le président argentin, le justicialiste-péroniste Nestor Kirchner, s'est fait attribuer la faculté de modifier à son gré le budget approuvé par le parlement. Evo Morales a fait voter par la constituante bolivienne, où son parti le Mas ne détient qu'une majorité relative, la capacité de tourner l'obligation de faire adopter la nouvelle loi fondamentale par les deux tiers des députés. Le chef de l'Etat vénézuélien afin de passer outre à la résistance d'un parlement procédurier avait lui aussi en 1999 fait passer une série de projets, plus d'une quarantaine, sous la forme d'une loi cadre.

Les opposants ne sont pas en reste. Arguant de l'existence " d'un vide de pouvoir ", ou vacio de poder dans le texte, les opposants vénézuéliens au président Chávez avaient pensé légitimer ce qu'en d'autres époques ils auraient qualifié de coup d'Etat. Le fauteuil présidentiel était en effet inoccupé le 12 avril 2002, mais son titulaire en avait été enlevé par la force. Le candidat du PRD (Parti de la Révolution Démocratique), aux présidentielles mexicaines du 2 juillet 2006, Andrés Manuel López Obrador, AMLO, conteste son échec. Ses partisans ont parlé de fraude. Ils ont saisi l'Institut fédéral électoral et le Tribunal supérieur électoral qui leur ont donné quelques satisfactions tout en confirmant la victoire du conservateur Felipe Calderón Hinojosa. Le 16 septembre 2006, AMLO, s'est fait proclamer " Président légitime ", par un million de personnes, réunies sur la place centrale de la capitale mexicaine, le Zócalo. Cette nomination devrait être validée le 20 novembre, selon la même procédure.


Quelles que soient les raisons brandies, dans le feu des joutes politiques, par les uns et par les autres, une ligne jaune démocratique, est en ce moment allégrement mordue par beaucoup de ceux qui hier exigeaient la fin des dictatures, et le retour des libertés. Il est vrai que depuis l'arrivée du président Bush à la présidence des Etats-Unis, le respect de l'opposant, l'acceptation des règles du jeu démocratique, ne sont plus ce qu'ils étaient. Du coup la démocratie a pris un contenu de plus en plus relatif, et parfois intolérant. Au nom de leur conception de la démocratie les gouvernements des Etats-Unis et de l'Espagne ont accepté le coup d'Etat d'avril 2002 contre le président Chávez. Au nom de l'idée qu'il se fait de la démocratie le président Chávez refuse de reconnaître la validité des élections mexicaines.


Le " lider " historique de la gauche " aztèque ", Cuauhtémoc Cárdenas, aurait du en 1988 être élu Président de la République. Une panne informatique, opportune pour son adversaire, lui avait à ce moment là volé la victoire. Il en avait tiré des conclusions volontaristes, mobilisatrices, respectueuses des institutions. Le PRD est issu de cet échec. Un PRD qui a obtenu son meilleur résultat aux présidentielles comme aux législatives le 2 juillet 2006. C'est avait-il considéré, la meilleure réponse que peut donner un démocrate à ceux qui passent outre aux règles de la démocratie. AMLO, a-t-il dit après l'autoproclamation présidentielle du candidat du PRD sur le Zócalo, le 16 septembre 2006, fait du tort à la gauche mexicaine et à la démocratie. " Nous ne pouvons pas être d'accord avec la nomination d'un nouveau président en rébellion. Cela romprait même si celait était purement symbolique, l'ordre constitutionnel. Pour construire une opposition forte dans la durée, ce dont nous avons le moins besoin ce sont d'actes provocateurs " (2).


(1) Rapport mondial sur le développement humain 2005, Paris-New-York, PNUD-Economica, 2006


(2) El Universal, México, 14 septembre 2006

Sources : IRIS

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Venezuela

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