L'EAU VA VERS LES PAUVRES

Publié le par Adriana Evangelizt

 

L'EAU VA VERS LES PAUVRES

 

Philippe Boulet-Gercourt


 

A La Nouvelle-Orléans, depuis toujours, les plus démunis vivent dans les quartiers bas de la ville.Les quartiers riches ont pu s’offrir un meilleur système de digues

Le Nouvel Observateur. –Avez-vous été surpris de voir tant de gens bloqués dans la ville?


Craig Colten. Que certains choisissent de rester ne m’a pas étonné. Il y a beaucoup d’irréductibles, dans cette ville! Les pauvres ont refusé de partir pour protéger leurs maigres biens. L’incroyable est que rien n’ait été prévu pour évacuer ceux qui le souhaitaient, alors que ceux-là étaient tributaires des transports publics. On s’est adressé à ceux qui possédaient une voiture, on n’a rien fait pour les autres. Personne n’a pensé à instaurer un système de covoiturage, personne n’a prévu de bus additionnels. On a vaguement étudié un plan d’évacuation par le train. Des milliers de gens auraient pu être évacués en quelques rotations. Mais personne n’a donné suite à ce plan. On aurait pu aussi utiliser les barges. On ne l’a pas fait. Et sur place, on n’a prévu aucune réserve en eau ou en vivres.


N. O. – Pourquoi les Noirs ont-ils payé un prix si élevé?


C. Colten. Depuis toujours, les pauvres vivent dans les quartiers les plus bas. Lors des inondations de 1849, ces pauvres étaient irlandais. A l’époque, les esclaves noirs vivaient avec leurs maîtres dans les quartiers hauts. Plus tard, notamment lors du cyclone de 1965, ce sont les Noirs qui se sont retrouvés en première ligne. Dans l’Ouest, on a coutume de dire que «l’eau va vers l’argent»; à La Nouvelle-Orléans, c’est exactement l’inverse: l’eau s’éloigne de l’argent, elle va vers les pauvres.

N. O. Est-ce vrai aussi pour l’argent public?


C. Colten. En partie. Les quartiers riches ont pu s’offrir un meilleur système de digues. C’est un peu la même chose, en moins caricatural, que ce qui s’est produit avec les écoles publiques, où l’exode des familles aisées a laissé un système scolaire exsangue dans les villes. Depuis 1995, tout de même, il y avait eu un effort pour renforcer le système de digues dans La Nouvelle-Orléans proprement dite. Mais il a été très insuffisant.

N. O. –Peut-on parler de ville ségréguée?


C. Colten. Oui et non. La ville compte une large population métisse, il y a plus d’intégration raciale que dans d’autres parties de l’agglomération urbaine. Mais le fait est qu’en 1940, sept habitants sur dix étaient des Blancs, tandis qu’aujourd’hui, plus des deux tiers sont des Noirs. Ces dix dernières années, la ségrégation s’est aggravée: le port a perdu de son importance, des banques ont été vendues, des compagnies pétrolières ont déménagé à Houston, bref, beaucoup de jobs bien payés ont disparu et laissé la place à une économie de plus en plus touristique, une économie de services qui paie mal.


N. O. –Avec cette tragédie, les tensions raciales vont-elles s’aggraver?


C. Colten.
– Je le crains, d’autant que beaucoup de Blancs vont retrouver leurs maisons vandalisées. Il faudra de longues, longues années pour cicatriser la plaie.


Craig Colten : Professeur de géographie et anthropologie à l’Université d’État de Louisiane, auteur de: «An Unnatural Metropolis: Wrestling New Orleans from Nature», Lousiana State University Press, 2004.

Sources :
NOUVEL OBSERVATEUR

Posté par Adriana Evangelizt

 

Publié dans LA MISERE AUX USA

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