Le trou noir

Publié le par Adriana Evangelizt

Le trou noir

par Jocelyn Coulon

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La prison américaine de Guantanamo, à Cuba, devait être le lieu parfait où des terroristes présumés et des combattants talibans seraient incarcérés indéfiniment dans l’attente d’un procès dont le moment viendrait le jour où l’administration Bush le déciderait, et ce, loin des caméras et du système judiciaire américain. L’idée d’écrouer des individus dans un tel lieu a été concoctée par des esprits vicieux convaincus de leur bon droit et de l’appui d’une population traumatisée par le 11 septembre. Ils n’avaient pas prévu soulever l’écoeurement, chez eux comme dans le reste du monde. Dimanche, le président Bush a confié vouloir fermer la prison. Il était temps.

Au lendemain des attentats contre New York et Washington, l’heure est à la réplique et à la vengeance. La guerre contre l’Afghanistan débouchant sur le renversement du régime taliban est unanimement saluée. Ce nouveau terrorisme, capable de planifier des attentats sophistiqués et de prendre en otage un État, doit être combattu avec vigueur. Parallèlement aux opérations militaires en Afghanistan et à la chasse aux terroristes, l’administration américaine et plusieurs de ses alliés mettent sur pied des lieux de détention afin d’y accueillir les suspects.

La base navale de Guantanamo est rapidement identifiée. Elle offre deux avantages : loin des théâtres de guerre, elle est sécuritaire ; située sur le territoire d’un autre État, elle est, pense-t-on à Washington, en dehors de la souveraineté des États-Unis. Et, puisque les lois américaines ne s’y appliquent pas, on pourra y créer des tribunaux militaires d’exception et torturer. Alberto Gonzalez, conseiller juridique du président et grand partisan de la torture, souffle au président une extraordinaire interprétation des lois, mais aussi du bon sens et de la morale : le terrorisme rend obsolète les restrictions juridiques posées par les conventions de Genève sur le traitement et l’interrogatoire des prisonniers.

Donc, Monsieur le Président, vous avez carte blanche. Vous n’êtes pas lié par les lois nationales et internationales proscrivant la torture quand il s’agit de défendre la sécurité nationale. À la Maison-Blanche, on exulte. À Guantanamo, à Abu Ghraib, en Irak, et dans des dizaines de prisons secrètes à travers le monde, les agents de la CIA, comme les simples bidasses, reçoivent le signal : allons-y, le président nous couvre, et Dieu nous pardonnera.

Le résultat de ce bricolage juridique, de ce naufrage moral, est effarant : des milliers de personnes sont arrêtées, des centaines enlevées, transportées par avion dans des lieux secrets et torturées, une centaine sont tuées, sans compter ceux qui disparaissent dans des oubliettes.

L’écoeurement

Mais les salauds ont-ils des droits ? Oui a répondu l’administration, mais c’est nous qui fixons les paramètres, car on n’est jamais mieux servi que par soi-même : les tribunaux militaires à Guantanamo agiront comme interrogateurs, procureurs, avocats de la défense, juges et bourreaux. Là, pour ceux qui croient encore au droit et à la morale, la coupe est pleine. Des recours sont introduits en justice civile américaine afin de réclamer la tenue de procès équitables et d’interdire la torture.

En Grande-Bretagne, Lord Johan Steyn, juge à la cour d’appel de la Chambre des Lords et partisan de la levée de l’immunité du général Augusto Pinochet, dénonce en décembre 2003 le trou noir juridique de Guantanamo. Le 28 juin 2004, la Cour suprême des États-Unis démolit la construction juridique de Gonzalez. " L’état de guerre n’est pas un chèque en blanc au président ", dit la Cour. Non, Guantanamo n’est pas une zone de non-droit, car cette base est placée sous le contrôle et la juridiction complète des États-Unis depuis un siècle. Ses prisonniers ont des droits et peuvent saisir les tribunaux américains.

Déstabilisée par ce jugement, la Maison-Blanche tente une défense. On ne torture pas, dit Condoleezza Rice. Oui, répond le seul homme politique en exercice à avoir subi la torture lors de la guerre du Vietnam, le sénateur républicain John McCain qui, du coup, fait adopter une loi prohibant la torture. C’est aussi l’opinion d’un juge britannique qui disait récemment que " les États-Unis ont une définition de la torture qui ne correspond pas à la nôtre et qui ne semble pas correspondre à celle de la plupart des nations civilisées. "

Fermez Guantanamo et les autres prisons secrètes, demandent les anciens présidents Jimmy Carter et Bill Clinton. Pas question, réplique Donald Rumsfeld. Pour lui, les 500 prisonniers, âgés entre 16 et 80 ans et jamais accusés de rien, sont " les tueurs les plus brutaux de la planète ".

La prison de Guantanamo n’a jamais été créée pour rendre justice, mais bien pour se venger, torturer et humilier. Du coup, elle est devenue un puissant symbole de l’arrogance et de la dérive sécuritaire d’une partie de l’Occident. L’état de guerre ne peut justifier les démocraties d’enfreindre les droits de l’homme d’une manière totalement disproportionnée, disait Lord Steyn. Bush vient de céder sur Guantanamo, mais ne vous y trompez pas : à Bagram, en Afghanistan, des centaines de terroristes présumés s’entassent dans une prison sans aucune supervision internationale. L’arbitraire et la torture ont encore de beaux jours.

Sources : CERIUM

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans GUANTANAMO

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