Poker menteur avec l'Iran

Publié le par Adriana Evangelizt

Poker menteur avec l'Iran

par Luis Lema

Aussi bien les Britanniques que les Iraniens semblent vouloir calmer le jeu dans l'affaire des 15 marins arrêtés dans le golfe Persique. Mais les Etats-Unis, eux, sont décidés à maintenir la pression sur le régime de Téhéran. Y compris la «pression militaire»?

«Nous ne vivons pas à l'âge de la pierre. Le GPS a clairement localisé leur présence.» La capture des 15 Britanniques, le 23 mars, se résume-t-elle à une question de repérage, comme l'affirme Ali Larijani, le secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale iranien? Les marines et membres d'équipage ont-ils été faits prisonniers alors qu'ils se trouvaient dans les eaux irakiennes, en conformité avec les dispositions de l'ONU, comme l'affirment les Britanniques? Ou au contraire se trouvaient-ils en territoire iranien? Une chose est sûre: les eaux du golfe Persique sont aujourd'hui suffisamment troubles pour que cette capture ait acquis une dimension planétaire.

Depuis le début de la crise, Londres s'est décidé à adopter un profil bas, privilégiant avec Téhéran le chemin de la négociation. Pour un Tony Blair pratiquement sur le départ, il n'est pas question de renouer avec les pratiques qui furent celles de Margaret Thatcher, il y a tout juste 25 ans, lorsqu'elle répondit par le canon à une provocation de la dictature argentine, aux Malouines. Visiblement, l'Iran cherche lui aussi à calmer le jeu: pas question, pour lui non plus, de répéter les 444 jours de crise des otages qui accompagnèrent les débuts de la République islamique à l'ambassade américaine de Téhéran. Ainsi, mardi étaient dévoilées de nouvelles images des prisonniers britanniques: elles les montraient jouant paisiblement aux échecs sur un tapis sans signe apparent de tension.

Dans cette crise, pourtant, Londres et Téhéran ne sont pas seuls à se faire face. Alors que la tension n'a cessé de monter ces derniers temps, aussi bien à propos du programme nucléaire iranien que de l'aide apportée par l'Iran aux insurgés chiites irakiens, les Britanniques craignent de faire les frais de leur proximité avec Washington. Car, vu des Etats-Unis, l'affaire est claire: c'est son statut de «junior partner» de l'Amérique qui vaut à la Grande-Bretagne d'avoir été prise pour cible. Faute de pouvoir se confronter directement au «Grand Satan», les Iraniens se sont attaqués au petit frère.

Après avoir gardé le silence pendant plusieurs jours, George Bush sortait de sa réserve samedi dernier pour alimenter cette version. Il y qualifiait les 15 Britanniques d'«otages», un terme soigneusement évité jusque-là par Downing Street. Le comportement des Iraniens est «inexcusable», affirmait encore le président. Commentant cette «mauvaise action» iranienne, «la dernière d'une longue histoire», le conseiller de la Maison-Blanche Dan Barlett allait encore plus loin sur une chaîne de télévision américaine: «Nous soutiendrons les Britanniques par tous les moyens qu'ils jugeront utiles», s'exclamait-il.

Téhéran s'est défendu à plusieurs reprises d'avoir capturé les soldats en signe de représailles. Mais la presse britannique, elle aussi, a tôt fait de mettre cette capture en relation avec la guerre d'Irak, et plus particulièrement avec les actions américaines menées contre les «agents iraniens» présents dans le nord du pays.

Ainsi, le 11 janvier dernier, les troupes américaines lançaient une vaste opération à Erbil, dans le Kurdistan irakien, au terme de laquelle ils capturaient 5 Iraniens. Présentés par Washington comme des espions, ils sont toujours détenus. Mais, selon le journal britannique The Independent, les Américains cherchaient en réalité à s'emparer de personnalités iraniennes bien plus haut placées, le chef du Conseil national de sécurité Mohammed Jafari et l'un des chefs des gardiens de la Révolution, le général Minojahar Frouzanda. Un peu comme si Téhéran avait décidé d'emprisonner le chef de la CIA américaine ou du M16 britannique, notait le quotidien.

A cette opération s'ajoute encore la mystérieuse disparition récente de l'ancien vice-ministre iranien de la Défense Ali Reza Asghari, qui, à en croire Téhéran, aurait été enlevé par les Américains. Ce n'est pas tout: plus récemment encore, les Etats-Unis auraient demandé à la Suisse d'intervenir pour obtenir des nouvelles d'un ancien membre du FBI porté disparu depuis plusieurs semaines. Il se trouvait en Iran «pour des raisons privées», assure le Département d'Etat américain...

Les marins britanniques ne sont-ils donc qu'un maillon supplémentaire de cette longue chaîne? Dans tous les cas, l'épisode donne un argument supplémentaire à ceux qui, aux Etats-Unis, veulent donner davantage de voix contre le régime des mollahs. Le lieutenant général à la retraite de l'US Air Force Thomas McInerney ne cesse par exemple de prodiguer publiquement ses recommandations aux conservateurs de Washington: répondre au coup par coup à Téhéran, renforcer les sanctions, et se tenir prêt à utiliser «une pression militaire minimale». «Il est temps d'être dur avec l'Iran», enchaînait une tribune libre parue dans l'influent Los Angeles Times.

Quant à John Bolton, l'ambassadeur américain à l'ONU dont George Bush a dû se séparer à regret au début de l'année, il ne cachait pas ses sentiments. Invité à s'exprimer à la télévision britannique, il n'avait qu'un mot pour qualifier l'approche diplomatique choisie par Tony Blair: «Pathétique.»

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Le Royaume-Uni pris en étau entre l'Irak et les Etats-Unis

par Eric Albert


Tony Blair n'a que peu de marge de manœuvre dans les négociations.

Aujourd'hui et demain seront des journées «relativement critiques» pour les négociations avec l'Iran. Hier, Tony Blair a envoyé un signal d'espoir modéré pour une possible libération prochaine des 15 marines britanniques capturés depuis bientôt deux semaines. Le premier ministre britannique a adopté un ton plutôt apaisant, mettant l'accent sur sa volonté de résoudre la crise par voie diplomatique.

Ce discours volontariste, qui laisse entendre que la Grande-Bretagne maîtrise la situation, cache mal que le pays n'a que très peu de marge de manœuvre dans cette crise. Coincé entre les Etats-Unis et l'Iran, il peut difficilement agir comme il l'entend. «Le contexte de ces arrestations est une guerre indirecte entre les Etats-Unis et l'Iran, explique Dan Plesch, directeur du Centre for International Studies and Diplomacy, à l'université SOAS. D'un côté, l'Iran soutient les insurgés en Irak, de l'autre, les Etats-Unis aident les «forces de libération» en Iran, notamment au Kurdistan.»

Cette opinion est partagée par Rosemary Hollis, directrice de recherche à Chatham House, une organisation d'analyse géopolitique: «La crise révèle à quel point la politique britannique est désormais inextricable de celle des Etats-Unis. Si les marines étaient dans le golfe Persique, c'était parce qu'ils participaient à la guerre en Irak. Pour le Royaume-Uni, se différencier des Etats-Unis dans cette région est devenu quasiment impossible.»

Pour Londres, il y a aussi le risque que Washington ne s'empare de la crise et ne fasse délibérément monter la pression. «Ce sont les Etats-Unis qui ont le plus intérêt à faire cela, affirme Dan Plesch. L'Iran n'y a aucun intérêt, parce que cela ne ferait qu'augmenter les risques de sanctions.» Pour l'instant cependant, ce scénario ne s'est pas matérialisé: les «néo-cons» américains sont restés relativement discrets.

Est-ce à dire que Tony Blair souhaiterait se distancier de George W. Bush? Non, répond Dan Plesch: «Blair est sur la même ligne que Bush et il soutient son approche. En revanche, il y a des tensions entre Tony Blair et le reste de son gouvernement.» Tandis que Margaret Beckett, ministre des Affaires étrangères, mettait en avant sa «volonté d'un dialogue avec l'Iran», le premier ministre s'est montré très ferme, parlant «d'augmenter la pression», et menaçant d'enclencher «une phase différente» si les négociations diplomatiques ne menaient à rien.

«La réaction des diplomates et des militaires britanniques a été très bonne, commente Rosemary Hollis. Mais on peut s'inquiéter de ce que vont faire les politiciens, que ce soit Blair ou Ahmadinejad.»

Ian Davis, directeur du British American Security Information Council, une association d'analyse géostratégique indépendante, confirme. «Tony Blair est toujours plus dur sur ces sujets. Ce serait mieux de laisser cela au Foreign Office. Mais c'est difficile: il est sous la pression de la presse populaire et de l'opinion britanniques pour hausser le ton.»

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L'histoire houleuse entre Londres et Téhéran


par Stéphane Bussard


Au XIXe siècle, la politique colonialiste du Royaume-Uni vise à faire de l'Iran un Etat-tampon à côté de la Russie pour que la route des Indes soit sécurisée. Les Iraniens se fâchent.

Le ressentiment iranien actuel est aussi lié au sentiment de pillage de ses ressources naturelles. Les exemples abondent. La concession la plus importante sera accordée à l'avocat britannique William Knox D'Arcy au prix de 20000 livres. En 1908, il découvre le plus grand champ pétrolier de l'époque, celui de Masjid-e-Suleiman. C'est l'Anglo-Persian Oil Company (APOC) qui va l'exploiter.

Le gouvernement britannique acquiert 51% du capital de l'APOC. Mais en 1951, le premier ministre iranien Mohammad Mossadegh nationalise le secteur du pétrole. Les Britanniques sont furieux. Le gouvernement travailliste de Clement Attlee impose à l'Iran un blocus maritime dans le golfePersique. Avec l'aide de la CIA, le MI6 britannique renverse Mossadegh dans l'opération Ajax la même année.

En 1941, face au monarque Reza Shah, admiratif d'Hitler, les Britanniques envahissent le sud de l'Iran, renversent le souverain et le remplacent par son fils Mohammad Reza Pahlavi.

En 1979, lors de la Révolution islamique, Londres ferme son ambassade à Téhéran, prise brièvement par des manifestants iraniens quelques mois plus tôt.

En 1980, à l'ambassade d'Iran à Londres, 22 personnes sont prises en otage par six Iraniens armés. Il y aura un mort et deux blessés.

Dans cette décennie, les relations se tendent à nouveau pendant la guerre Iran-Irak, Londres soutenant Saddam Hussein, mais rouvre son ambassade en Iran en 1988.

Nouvelle rupture après que Téhéran lance une fatwa contre l'auteur britannique Salman Rushdie. Celles-ci se normaliseront avec le président Khatami en 1998.

En 2004, 8 marins britanniques sont pris en otage pour avoir apparemment navigué dans les eaux territoriales iraniennes. Ils sont libérés après trois jours de négociations. Représentant le «petit Satan», l'ambassade britannique de Téhéran est régulièrement la cible de manifestations parfois violentes depuis 2003.

Sources Le Temps

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans IRAN

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