George W. Bush touché au «cerveau»

Publié le par Adriana Evangelizt

George W. Bush touché au «cerveau»

Par Pascal RICHE



Nom: Karl Rove. Surnom: «Bush's Brain». Influent conseiller politique du Président, on le soupçonne d'orchestrer les coups bas et campagnes de diffamation qui, depuis des années, cherchent à salir les adversaires politiques de son poulain. Il ne s'est jamais fait pincer, mais le dernier scandale en date pourrait lui coûter son poste.

Le président George W. Bush peut-il survivre sans son «cerveau» ? C'est ainsi que l'on surnomme Karl Rove, son conseiller politique depuis des années : «Bush's Brain». Le président américain, lui, préfère l'appeler «Boy Genius» ou «Turd Blossom» (fleur d'étron). Il est toujours à ses côtés : un discret quinquagénaire aux joues et au crâne roses, avec un petit sourire vissé aux lèvres, qui l'accompagne partout en trottinant. C'est lui qui a ciselé toutes les campagnes électorales de Bush, fixé ses principaux messages, façonné ce Président. Karl Rove a aujourd'hui l'esprit ailleurs. Il a été convoqué à quatre reprises par le procureur Patrick Fitzgerald, dans l'affaire «Valerie Plame». Une affaire assez tordue dont il faut rappeler le fil.

En janvier 2003, Bush accuse publiquement Saddam Hussein d'avoir cherché à se procurer de l'uranium en Afrique. Quelques mois plus tard, un ancien ambassadeur, Joe Wilson, raconte dans le New York Times qu'il avait prévenu l'administration Bush que cette information ne tenait pas la route. Au printemps 2002, Wilson avait en effet été chargé par la CIA d'enquêter sur la question au Niger, et il était revenu avec la certitude que la piste de l'uranium africain était fantaisiste. L'article embarrasse énormément Bush, accusé de mensonge. Quelques jours plus tard, un chroniqueur conservateur, Bob Novak, révèle que la femme de Wilson est en réalité un agent secret de la CIA, une façon de discréditer le sérieux de la «mission Wilson». Comme une demi-douzaine d'autres journalistes, Novak a bénéficié d'une fuite malveillante. Et depuis lors, chacun s'interroge : qui, au sein de l'administration, a ainsi pu exposer cette espionne et ses réseaux, en la démasquant ? Bush lui même tonne : «S'il y a eu une fuite, je veux savoir qui en est à l'origine. Et si la personne a violé la loi, on s'en occupera.» Le procureur chargé de l'affaire, Patrick Fitzgerald, un homme tenace, a interrogé tous les journalistes et les responsables impliqués. Son enquête l'a mené vers deux sources potentielles : Lewis «Scooter» Libby, le directeur de cabinet du vice-président Dick Cheney, et Karl Rove, le fameux «cerveau de Bush».

Génie politique et sans scrupule Si l'irremplaçable Rove est inculpé par le grand jury, il devra probablement démissionner. Ce serait une catastrophe pour Bush, qui nage déjà dans les problèmes. Selon Bruce Buchanan, professeur de sciences politiques à l'université d'Austin (Texas), «ce qu'apporte Rove à Bush est crucial à deux titres. Il lui procure une vision stratégique, qui combine les politiques à mener ("policies") et le calcul électoral ("politics"). Et c'est son homme de main : s'il y a une chose à faire pour l'emporter, quelle qu'elle soit, c'est lui qui s'en charge». Karl Rove, 54 ans, est unanimement considéré comme un génie politique, à droite comme à gauche. Il en a tous les attributs : le flair, le sang-froid, le goût des combinaisons, l'absence de scrupules. Il y a du Fouché dans cet homme-là. Comme l'ancien ministre de la Police de Bonaparte, il aime le pouvoir lorsqu'il est mêlé d'ombre.

Rove a d'ailleurs plutôt raison de cultiver l'obscurité. Lorsqu'il s'aventure sous la lumière, il a du mal à cacher son cynisme presque candide. Un jour, en janvier 2002, alors qu'il s'adresse à des cadres du Parti républicain, il n'hésite pas à les inviter à politiser le terrorisme : «Nous pouvons aller vers le pays sur cette question, parce que les gens pensent que le Parti républicain est meilleur pour préserver et renforcer la puissance militaire, et par conséquent protéger l'Amérique.» Que Karl Rove soit derrière l'outing de Valerie Plame n'étonnerait personne, tant ce mauvais coup porte sa marque de fabrique. Sa carrière est jalonnée d'adversaires crucifiés par des fuites ou des rumeurs. Mais s'il y a beaucoup de victimes sur sa route, on ne trouve jamais le bourreau. «Qu'il soit derrière la fuite ne me surprendrait pas particulièrement ; ce qui me surprendrait beaucoup, en revanche, c'est qu'il ait laissé derrière lui assez d'empreintes digitales pour se faire pincer», estime Bruce Buchanan. Ces coups, soigneusement portés, ont souvent été décisifs dans les victoires électorales de Bush. Il peut toujours les démentir... Mais sans eux, personne ne parlerait aujourd'hui de son «génie».

Premier mauvais coup à Chicago En 1970, à Chicago, un jeune homme joufflu et binoclard s'introduit au siège d'un candidat démocrate et vole du papier à en-tête. Quelques jours plus tard, des centaines d'invitations du candidat démocrate circulent dans les soupes populaires et les quartiers chauds de la ville : «Bière et nourriture gratuite, filles à gogo, du bon temps à ne rien faire.» Ce premier mauvais coup répertorié est encore innocent. Karl Rove, qui a échappé au Vietnam, se sent républicain depuis sa tendre enfance, ce qui est assez étrange, ses parents étant plutôt apolitiques. Son premier héros est Nixon. Il lit beaucoup (de l'histoire). Il s'active tellement pour le Parti républicain qu'il en laisse tomber ses études. Ses parents viennent de divorcer, et il a découvert au passage que Louis Rove, le géologue qu'il pensait jusque-là être son père, ne l'est pas. Quelques années plus tard, en 1981, sa mère se suicidera. En 1973, Rove se présente à l'élection du président de l'Association des étudiants républicains. Les résultats sont contestés : Rove et son adversaire demandent au président du parti de les départager. Celui-ci est un riche homme d'affaires, ancien représentant du Texas, nommé par George Bush, le père du président actuel. Une cassette audio, enregistrée lors d'un séminaire d'étudiants républicains, atterrit alors au Washington Post. Probablement envoyée par un des opposants de Rove. Sur la cassette, on l'entend vanter les coups tordus contre des adversaires politiques (infiltrer, fouiller les poubelles, etc.) Le journal publie un article, surfant sur l'émotion du Watergate. Mais George Bush perçoit les qualités de Karl Rove et tranche le litige électoral en sa faveur. Le jeune homme s'installe à Washington et se lie rapidement à Bush.

Un jour, il rencontre son fils, George W., 27 ans. C'est un coup de foudre politique : «Plein de charisme, de panache, des bottes de cow-boy, un blouson d'aviateur, un sourire merveilleux, wow !» racontera-t-il plus tard. En 1986, Karl Rove, qui a entre-temps monté à Austin une société de collecte de fonds par correspondance, se met au service du républicain Bill Clements, qui se présente contre le gouverneur démocrate du Texas Mark White. Dans un mémo qu'il rédige alors, il cite cette phrase de Napoléon : «Tout l'art de la guerre consiste en une défensive bien raisonnée, extrêmement circonspecte, et en une offensive audacieuse et rapide.» Au cours de la campagne, alors que les sondages placent Clements et White dans un mouchoir de poche, Karl Rove «découvre» un micro dans son bureau. C'est le scandale. Mais le FBI remarque que les piles trouvées dans le micro n'ont été utilisées que pendant un quart d'heure avant la découverte : bizarre, bizarre. Peu à peu, les médias acquièrent la conviction que Rove a lui-même planté le micro dans son mur pour discréditer la campagne adverse, à la veille d'un débat télévisé. Clements, le poulain de Rove, sera élu. Et le juge chargé de l'affaire du micro, un républicain, clora rapidement le dossier.

Des bruits qui courent En 1994, Rove a pris en main la carrière politique de George W. Bush, et entend le propulser dans le fauteuil du gouverneur. C'est une figure populaire, la démocrate Ann Richards, qui l'occupe. Au milieu de la campagne, une rumeur court tout à coup : Ann Richards ayant nommé des personnes homosexuelles dans son administration, ne le serait-elle pas ? Bush sera élu gouverneur du Texas. Six ans plus tard viennent les primaires républicaines pour l'élection présidentielle. La Caroline du Sud ­ un Etat crucial ­ doit voter. Le rival de Bush, John McCain, est subitement criblé de rumeurs nauséabondes. Son héroïsme militaire est mis en doute (comment a-t-il pu être prisonnier au Vietnam aussi longtemps ?); sa femme est suspectée d'être accro à la drogue ; sa fille adoptive, originaire du Bangladesh, est soupçonnée d'être en réalité une enfant qu'il aurait eue avec une prostituée (noire). Bush battra McCain. En 2004, le candidat démocrate à la Maison Blanche, John Kerry, se présente comme un ancien du Vietnam, un «guerrier» capable de protéger les Américains. La comparaison de son passé militaire avec celui de Bush est cruelle : le Président, lui, s'est planqué pendant le Vietnam. Que faire ? Une association de vétérans «indépendante» inonde alors les télévisions de spots diffamatoires. Kerry serait un vantard, ses blessures de guerre seraient factices, ses médailles imméritées. Bush jure qu'il n'est pour rien dans cette campagne. Mais le groupe en question a été lancé grâce aux 100 000 dollars d'un milliardaire texan, Bob Perry, que connaît Rove depuis vingt-cinq ans. Ce dernier jure qu'il n'a pas parlé à Perry depuis plus d'un an : «Cette ville [de Washington] est construite sur des mythes, et je suis devenu moi-même un mythe très pratique», déclare-t-il à Fox News. L'équipe de Kerry, elle, n'a aucun doute sur l'origine de la sale campagne. Mais comment le prouver ?

Etranges rapprochements L'affaire Plame a un air de famille avec tous ces épisodes. Juste après la révélation de l'identité de l'agent de la CIA, l'ancien ambassadeur Joseph Wilson a eu au téléphone un reporter américain : «C'est un journaliste que je respecte, et qui n'a aucune raison d'inventer des histoires. Il m'a dit qu'il avait parlé à Rove, et que celui-ci lui avait dit, à propos de ma femme : c'est une bonne cible.» Lorsque le nom de Karl Rove est évoqué comme «fuiteur» possible, quelques sourcils se sont dressés dans la salle de rédaction du Houston Chronicle. Cette histoire a semblé familière à quelques journalistes. En fouillant leur mémoire, ils ont trouvé. En 1992, Karl Rove travaille au Texas pour la réélection de Bush père. Mais il est en conflit avec le responsable local de la campagne, Rob Mosbasher. Un jour, un chroniqueur influent raconte par le menu une réunion secrète républicaine, à Dallas, au cours de laquelle Mosbasher aurait été étrillé pour ses plantages. Mosbasher est furieux : il soupçonne aussitôt Rove d'être à l'origine de la fuite, et le vire. Le nom du chroniqueur bien renseigné ? Un certain Robert Novak.

Sources Libération

Posté par Adriana Evangelizt

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