BUSH DANS L'OEIL DU CYCLONE

Publié le par Adriana Evangelizt

BUSH DANS L'OEIL DU CYCLONE

par Ryadh Fékih

Les images de villes inondées livrées aux pillards, de réfugiés – on n’avait jamais entendu ce terme appliqué à des Américains – marchant avec leur baluchon, de cadavres étendus sur le macadam que personne ne ramasse et de rescapés livrés à eux-mêmes et désespérés, dont certains se tiraient dessus pour monter dans les bus destinés à l’évacuation... ont choqué les Américains avant le reste du monde. “Ce n’est pas l’Amérique !”, répétait une vieille dame noire, qui n’en croyait pas ses yeux, citée par le New York Times. C’est pourtant bien de l’Amérique, pays des Droits de l’Homme, qu’il s’agit. Une Amérique déstabilisée et qui montre son vrai visage, celui d’une puissance sur le déclin, rongée par l’argent et la ségrégation.

Et qui, depuis que George W. Bush veille à ses destinées – un président qui n’a d’autre souci que de défendre les intérêts des géants de l’industrie pétrolière – allie arrogance et incurie, interventionnisme et incompétence, grandeur et… décadence.




Le cyclone Katrina, qui a ravagé au début de la semaine dernière le Sud-Est des Etats-Unis, faisant “plus de 10 000 morts” – chiffre officieux avancé en attendant le décompte final –, a révélé l’énorme décalage entre la superpuissance technologique de ce pays et son incapacité à faire régner la sécurité sur son propre territoire national. Il a, surtout, mis à nu les carences du système américain, ses inégalités criantes et l’incompétence de son gouvernement. Sinon, comment expliquer que le pays le plus riche de la planète puisse laisser ses citoyens les plus démunis mourir dans un cataclysme pourtant prévisible et... prévu ? “Le 11-Septembre a montré le pouvoir d’une nation unie en réponse à une attaque dévastatrice. Le cyclone Katrina révèle la ligne d’une région et d’une nation, divisée par de profondes disparités sociales”, a écrit, dans le journal déjà cité, le professeur Mark Naison, de la Fordham University du Bronx.

Un désastre annoncé

L’agence gouvernementale chargée de la prévention et de la gestion des catastrophes, la FEMA (Federal Emergency Management Agency), avait prévenu il y a quatre ans qu’un cyclone ou une inondation à La Nouvelle-Orléans, ville noire à 67 % et dont 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, faisait partie des trois catastrophes majeures qui menaçaient l’Amérique, avec une attaque terroriste sur New York. Mais au lieu d’augmenter les financements pour consolider une ville de 1,4 million d’habitants bâtie au-dessous du niveau de la mer, les autorités ont réduit les crédits destinés à renforcer et réparer les digues, qui permettaient d’isoler la ville des eaux du Mississippi et de celles du lac Pontchartrain, tout proche.

“Ce désastre n’attendait que le moment”, a estimé John Rennie, rédacteur en chef de Scientific American. “Depuis des années, il y a eu une multitude d’avertissements sur la vulnérabilité de la ville si des travaux critiques de reconstruction, qui ont pris du retard, n’étaient pas entrepris”, a-t-il expliqué. Scientific American, bible américaine de la science et de la technologie, avait prévenu dès 2001 que l’état de dégradation des digues de la ville et des systèmes de pompage, le développement des zones immobilières et l’insuffisance d’itinéraires d’évacuation faisaient peser sur La Nouvelle-Orléans un risque sérieux de catastrophe débouchant sur le blocage de plus de 250.000 personnes et la mort de milliers d’entre elles.

Mais les budgets fédéraux destinés aux opérations de génie civil de l’armée pour renforcer les digues ont diminué, alors que l’Amérique partait en guerre en Irak et lançait sa guerre au terrorisme. “Les autorités n’ont pas inscrit ce genre de désastre dans les priorités, ils ont repoussé les dépenses pour mettre l’argent sur autre chose, notamment au cours des deux dernières années, où le pays a mené une guerre et a dû s’occuper de sa sécurité intérieure”, a expliqué Rennie.

En 2005, l’Administration Bush a réduit drastiquement de 80 % le budget prévu de 27,1 millions de dollars demandé par le Génie civil de l’armée pour améliorer les digues, qui est tombé dans un premier temps à 3,9 millions avant d’être légèrement relevé par le Congrès à 5,7 millions (contre 10 millions de dollars en 2001). Quant au budget de 100 millions de dollars demandé par l’organisme de contrôle des crues de Louisiane, il a été réduit lui aussi à 34 millions de dollars, contre 69 millions en 2001.

“Nous avons ignoré le problème jusqu’à la catastrophe”, a souligné, de son côté, Mark Fischetti, éditorialiste au Scientific American Magazine, dans une tribune publiée par le New York Times le 2 septembre. Un journal de La Nouvelle-Orléans, Times-Picayne, avait également averti – dans une série d’articles qui lui ont valu le prix Pulitzer en 2002 – contre l’impréparation et l’inadéquation des digues censées protéger la ville.

Un “commandant en chef” dans la tempête

Le président américain a dû interrompre ses vacances et rentrer, le 31 août, à Washington. Il est resté deux jours de trop en vacances dans son ranch texan de Crawford où il passe un cinquième de son temps depuis qu’il est président. Dans la conférence de presse qu’il a tenue à cette occasion, il a souligné l’ampleur des dégâts humains et matériels et les efforts déployés par son gouvernement pour faire face à la crise. Pensait-il retrouver, face à ce nouveau drame, qui a profondément ému l’Amérique, un peu de la stature du “commandant en chef” qu’il a acquise au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre New York et Washington ? Les graves manquements de son administration, qui n’a pas su éviter une crise humanitaire en Louisiane et dans le Mississippi, ont porté un grand coup à sa popularité, qui était déjà au plus bas avec seulement 40 % de satisfaits dans les sondages antérieurs à la tragédie.

Ainsi, selon un sondage réalisé le 28 août, une majorité d’Américains (53 %) désapprouve la politique menée par le Président. Bush est également blâmé pour sa façon de gérer l’économie et les retraites. Par ailleurs, 73 % des personnes interrogées disent désapprouver la façon dont le chef de l’Etat s’occupe de la crise née de la hausse du prix de l’essence, qui s’est considérablement aggravée depuis l’irruption de Katrina. En ce qui concerne l’Irak, seulement 42 % des Américains applaudissent encore l’action de leur Président. Mais pour combien de temps encore ?

Les ministères et les agences gouvernementales ont attendu deux (longs, très longs) jours avant de comprendre l’ampleur de la catastrophe. Quant à l’armée, on lui reproche, à juste titre, de n’avoir même pas tenté de colmater les brèches dans les digues qui ont permis à l’eau d’envahir plus de 80 % de La Nouvelle-Orléans.

Bien avant l’ouragan Katrina, de nombreux Etats se plaignaient déjà de ne plus pouvoir compter, en cas d’urgence, sur la Garde nationale, massivement utilisée en Irak. Leurs craintes n’ont pas tardé à être justifiées par les scènes de pillage répétées et de chaos à La Nouvelle-Orléans, que les autorités ont été incapables d’empêcher, même en envoyant, le 31 août, en catastrophe, 3.500 soldats supplémentaires dans la ville. Quand on sait que le Mississippi a, en ce moment même, 3.800 gardes en Irak et la Louisiane environ 3.000, on comprend la colère des habitants de ces Etats.

Pour ne rien arranger : l’autorisation accordée par le Pentagone, le soir du 31 août, à l’amiral Timothy Whitaker, qui dirige le commandement nord, de déployer des troupes d’active pour rétablir l’ordre à La Nouvelle-Orléans, a beaucoup choqué l’opinion publique. Car, légalement, seul le président peut autoriser des unités régulières de l’armée à participer à de telles opérations, en vertu de la loi fédérale contre les insurrections. De la part de la première puissance globale au monde, qui croit être en mesure de mettre de l’ordre aux quatre coins de la planète, tant de tâtonnement, d’improvisation et d’incompétence, sont pour le moins “inacceptables”. Le mot est de Bush, qui l’a prononcé lorsqu’il s’est finalement rendu a proximité des lieux pour la première fois, cinq jours après le passage du cyclone (il était temps !).

Les premiers à tirer à boulets rouges sur l’Administration Bush furent Ray Nagin, le maire de la Nouvelle-Orléans, et Kathleen Bianco, le gouverneur de la Louisiane. Les médias nationaux ont suivi, qui ont souligné, le 2 septembre, que les vivres et les secours avaient été apportés aux survivants du tsunami à Banda Atjeh, en Indonésie, deux jours après la catastrophe, alors que des milliers de réfugiés de Louisiane, du Mississippi et d’Alabama manquaient encore du minimum vital cinq jours après le cyclone.

“Comment est-il possible que le gouvernement ait été aussi peu préparé pour une crise aussi largement annoncée ?”, s’est ainsi demandé le quotidien Washington Post. “La réponse molle des autorités a suscité la colère de dizaines de milliers de personnes attendant une aide, la plupart d’entre elles pauvres et noires, très souvent vieilles et malades”, a ajouté le journal. De son côté, le New York Times a pointé du doigt la mobilisation de la garde nationale pour l’Irak, rappelant que le tiers des membres de la garde nationale de la Louisiane, qui était déployé dans le Golfe, n’a pas pu participer aux secours. Même le Wall Street Journal, pourtant proche de l’administration républicaine, a estimé que les autorités sont en partie responsables du chaos. “Les Américains attendent parfois trop de leur gouvernement – comme leur assurer des prix de l’essence bas – mais ils sont en droit qu’il leur fournisse au moins la sécurité, même et peut-être a fortiori lors des crises”.

Les opposants démocrates, qui n’en demandaient pas tant pour donner de la voix après la défaite de leur candidat à la dernière élection présidentielle, n’ont pas eu de mots assez durs pour fustiger le Président et son équipe.

Le leader de la communauté afro-américaine, le révérend noir Jesse Jackson a attaqué, le 2 septembre, le Président Bush, en demandant pourquoi les Noirs “piégés dans la souffrance” étaient exclus des postes de responsabilité dans les opérations de secours. “Il y a 120.000 personnes à La Nouvelle-Orléans gagnant moins de 8.000 dollars par an. Ils sont pauvres, ils sont noirs”, a-t-il ajouté.

“Au cinquième jour de la catastrophe Katrina, pourquoi le Président George W. Bush n’a-t-il pas assumé ses responsabilités? Où est le leadership, M. le Président?”, a interpellé le parti démocrate dans un communiqué. “J’ai honte de l’Amérique, j’ai honte de notre gouvernement”, a lancé Carolyn Cheeks Kilpatrick, une élue noire démocrate du Michigan (Nord). Les victimes étaient, il est vrai, en majorité noires et pauvres. Un autre démocrate, Bill Pascrell, membre de la commission des infrastructures à la Chambre des représentants a fulminé : “Il n’y a aucune excuse, c’est une incompétence qui dépasse l’imagination”. “Nous savons faire face à de telles situations, nous l’avons fait dans d’autres pays, (...), là ce sont nos propres compatriotes, nous n’avons pas réagi”, s’est-il indigné. Reprochant, de son côté, à l’avion présidentiel d’avoir fait un crochet au-dessus des régions dévastées, dans l’après-midi du 31 août, sur le chemin de Washington, un geste qui a été perçu comme condescendant par certains, le sénateur Frank Lautenberg s’est emporté: “Au lieu de prendre son avion, de regarder à travers le hublot en disant ‘‘oh, quelle terrible vision’’, il aurait mieux fait d’aller sur le terrain pour donner un peu d’espoir aux victimes de l’ouragan”.

Les débats à la Chambre des Représentants, qui ont suivi le vote à l’unanimité au Congrès d’un collectif budgétaire de 10,5 milliards de dollars pour appuyer les opérations de secours, ont été assez houleux. Les assertions officielles, selon lesquelles il était imprévisible que les digues protégeant la Nouvelle-Orléans lâchent, ont été démenties. Car les autorités avaient été prévenues longtemps à l’avance des effets apocalyptiques qu’un cyclone pourrait avoir sur La Nouvelle-Orléans. Elles ont préféré ignorer ces avertissements et réduire les crédits destinés à renforcer les digues protégeant la ville, afin de dégager les fonds nécessaires dépensés pour la guerre en Irak.

Les parlementaires ont aussi dénoncé la dégradation de l’environnement côtier le long du Golfe du Mexique et les conditions épouvantables dans lesquelles ont été évacués les habitants de la Nouvelle-Orléans. “La compassion ne peut pas se substituer aux vivres, à l’eau, à des logements, à l’éducation pour les enfants”, a ainsi lancé la chef de file de l’opposition à la Chambre, Nancy Pelosi. “Des familles ont été déchirées, des logements ont été ravagés dans quatre Etats. Ce sont ces victimes qui méritent le temps du Sénat, et non la poignée de millionnaires concernés par la suppression de l’impôt sur les successions”, s’est insurgé son homologue au Sénat, Harry Reid, qui a demandé que la majorité renonce à son projet de suppression de l’impôt sur les successions, prévue par la majorité.

Bush, Katrina, l’Amérique et nous

“La popularité de Bush n’a cessé de chuter, en raison de l’Irak et de l’économie. A moins que la situation ne s’améliore rapidement et de manière visible, la manière dont Bush a réagi à la catastrophe ne va pas l’arranger. Il y a déjà beaucoup de politiciens dans le Parti républicain qui s’inquiètent des conséquences négatives que ces erreurs de Bush pourraient avoir au moment des élections”, commente Robert Shapiro, un professeur de sciences politiques de l’Université de Columbia, cité par le quotidien français Libération du 2 septembre.

Pour un président qui s’est fait réélire, il y a quelques mois, pour ses qualités supposées de gestionnaire de crise, la gestion catastrophique de la crise humanitaire provoquée par le passage du cyclone Katrina dans les Etats du golfe du Mexique est une véritable… catastrophe politique. Car même si Bush peut momentanément faire passer au second plan la guerre en Irak, où son armée est embourbée depuis deux ans et demi, et faire taire les opposants au conflit, cette catastrophe risque de laisser des traces, dont le Président, son administration et son parti, auront du mal à se remettre de sitôt.

Et pour cause : à en croire les experts de la société américaine Risk Management Solutions, spécialisée dans la gestion des catastrophes, le coût des dégâts occasionnés par l’ouragan sera supérieur à 100 milliards de dollars. Les conséquences économiques de la catastrophe, notamment la hausse des prix à la pompe des carburants, pourraient réduire le pouvoir d’achat des Américains, porter un coup à la consommation et ralentir la croissance économique.

Et c’est l’humanité entière qui, bien entendu, trinquera, une nouvelle fois. Car, on le sait, lorsque l’Empire éternue, c’est le monde entier qui prend froid.

Sources : 
REALITES

Posté par Adriana Evangelizt

 

Publié dans LE RACISME AUX USA

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