Les pays de l'Est, "ânes de Troie" des USA
Excellente analyse pour bien comprendre le rôle exact des pays "démocratisés" de l'Est... chevaux de Troie ou ânes de Troie ?
La crise dans les relations transatlantiques suite à l'attaque contre l'Irak a permis aux USA d'entraîner dans leur sillage la plupart des dirigeants des pays de l'Est candidats à l'adhésion à l'UE. Elle a provoqué dans "nos" médias l'accusation que ces pays seraient devenus les "chevaux de Troie" visant une "Europe" bien décidée à promouvoir une politique étrangère unifiée et pouvant contrebalancer l'unilatéralisme de Washington. Mais si cette accusation d'être devenus des agents des USA sur le vieux continent répond bien à une réalité, on appelle d'ailleurs cela "les ânes de Troie" dans les milieux d'opposition à la guerre d'Irak en Pologne, cela ignore le fait que les peuples concernés sont dans leur majorité opposés à la guerre américanisatrice et que les Etats d'Europe occidentale ne se sont pas non plus bousculés pour appuyer les positions de Paris ou de Berlin, eux-mêmes très hésitants dans leur appui à l'ONU et à la formation d'un bloc d'Etats anti-hégémoniques. En plus, les pays candidats n'avaient pas caché auparavant leur tropisme atlantique. Qui a oublié la proposition de Vaclav Havel de lui voir succéder Madeleine Allbright au poste de président de la République tchèque ou les achats d'avions nord-américains par la Pologne ? Il n'y a donc pas de stratégie alternative à l'hyperpuissance étasunienne dans le monde actuel et le projet de PESC n'est, pour le moment du moins, qu'une idée en l'air permettant de rendre l'UE plus sympathique mais pas pour autant plus efficace comme contrepoids.
Si l'UE, comme la plupart des Etats qui la constituent, n'a pas de stratégie claire de rupture avec l'hégémonie de l'impérialisme US, ce dernier a bien, lui, une stratégie de prise en main des peuples, par différentes méthodes, la guerre, les pressions économiques, les coups d'état, les achats de "décideurs", la création de réseaux d'agents d'influence et de propagande (de "communication") , etc. Cette stratégie est passée jusqu'à présent en grande partie par les anciens Etats socialistes d'Europe.
On sait que la pénétration des élites de ces pays par les agents d'influence US est ancienne, elle date de la guerre froide, mais aujourd'hui, elle s'affiche sans complexe. Un homme joue dans ce "rassemblement" un rôle clef, Bruce Jackson, ancien vice-président de Lockheed-Martin, en charge par exemple de la vente des avions F-16 à la Pologne aux dépens des intérêts économiques polonais, qui auraient dû préférer l'offre de modernisation des avions russes que leur offrait Moscou, ou des intérêts "européens", l'achat d'avions suédois ou français. C'est ce même Jackson qui, en tant que consultant de Rumsfeld, a joué un rôle important dans la promotion de la politique guerrière des USA au Moyen-Orient. Cet ex-officier des services de renseignements de l'US Army a donc développé tout un réseau de relations à l'Est qui lui a servi à obtenir l'adhésion non désintéressée à la politique des USA en Irak. Il participe donc au "Comité pour la libération de l'Irak" qui est une émanation du "Projet pour un XXIème siècle américain" (tout un programme!) regroupant les néoconservateurs des USA, et parmi lesquels on retrouve Kagan, Kristol, Mc Cain, Lieberman, etc. Au sommet du Comité pour la libération de l'Irak, on retrouve aussi la "crème" des ex-dissidents de l'Est soudainement intéressés par la Weltpolitik nord-américaine : Geremek (ex-chef de la diplomatie polonaise), Michnik (directeur du plus grand quotidien polonais), Landsbergis (ex-président lituanien), Ilves (ex-chef de la diplomatie estonienne), Stoyanov (ex-président bulgare), Vondra (actuel vice-ministre tchèque des Affaires étrangères), etc. mais aussi le très francophobe journaliste britannique Christopher Hitchens. Ce réseau a déjà servi pour faire signer la fameuse lettre des chefs de gouvernement des "PECOS" critiquant la position franco-allemande dans la guerre contre l'Irak. On sait d'ailleurs que cette lettre "spontanée" a été dictée mot à mot sur un coin de table par Jackson aux signataires, lors d'un diner à l'ambassade slovaque de Washington de telle façon à ce qu'elle reprenne les termes de l'intervention de la "colombe" Colin Powell à l'ONU (Financial Times, 11 février 03).
Cet alignement de ladite "nouvelle Europe" une fois réalisé, Jackson s'est lancé dans la "conquête" de la "vieille Europe" avec l'appui du "Club Europe Est-Ouest", tout récemment créé (février 2003) par le chercheur français Jacques Rupnik (directeur de recherche au CERI), et qui a comme but avoué de rapprocher la "vieille Europe", c'est à dire les Etats qui rechignent quelque peu à suivre aveuglément l'ordre d'outre-atlantique, avec la "nouvelle Europe", c'est à dire les fidèles alliés des USA. Un invité hongrois de ce club a ainsi déclaré : "Nous voulons plus d'Europe mais pas moins d'Amérique", ce qui a le mérite d'être clair et de savoir sur quelle base le "compromis" soutenu par cette association devrait se réaliser. Ce désir va d'ailleurs au devant de ceux des dirigeants mis en place dans les capitales est-européennes, le Premier ministre tchèque, Vladimir Spidla, ayant déclaré (Radio Europe "libre" 28 mai 2003) : "L'Europe et les USA doivent maintenir leur liens d'alliance, de partenariat et d'amitié. Il n'est ni dans notre intérêt ni dans celui de personne d'autre de construire des structures parallèles ou alternatives à celles que nous (sic!) avons déjà réalisé dans le cadre de l'OTAN".
Mais Jackson avoue que la Bosnie et le Kosovo sont des protectorats, le mot est lancé. Il aurait peut-être fallu nous expliquer pourquoi, sous forme de Yougoslavie, ces pays n'avaient pas besoin d'être des protectorats, et pourquoi le niveau de vie global des populations y était bien plus élevé, que les Yougoslaves pouvaient voyager librement à l'étranger, etc. La stabilité dans les Balkans n'est aujourd'hui plus assurée que par la présence sans fin prévisible des troupes de l'OTAN. On n'a évidemment rien entendu sur la présence de bases de l'US Army le long des corridors pétroliers des Balkans.
Pour Jackson, il n'y a pas de différence essentielle entre l'UE et l'OTAN, mais comme les USA ne sont pas membres de l'UE, ils semblent vouloir la contrôler par le biais des pays qu'ils contrôlent bien aujourd'hui, ceux d'Europe de l'Est mais aussi la Grande-Bretagne, les Pays-Bas ou le Danemark.
La conférence n'était sans doute pas si importante en elle-même, mais elle a constitué un précédent, celui de faire accueillir un personnage qui s'est opposé vigoureusement aux intérêts de la France par des fonctionnaires payés par l'Etat français et dans le cadre doublement officiel du CERI à Sciences-Po. En plus, cette présence a été trouvée normale, sans prévoir de contradicteurs pouvant par exemple demander à Jackson des explications sur son rôle dans la rédaction de la lettre des "dix de Vilnius" qui visait explicitement Paris. Qu'il puisse y avoir la présence d'un représentant officiel des intérêts les plus anti-français, accueilli par des chercheurs qui sont des fonctionnaires rétribués par la République française, c'est-à-dire par les contribuables français est un acte qui démontre la perte de conscience civique de nombreux fonctionnaires français. Décidément le "carcan" étatique français n'est plus ce qu'il était. Madelin peut dormir tranquille. Les USA en revanche ont eux une politique d'Etat.