Synarchie financière et dérives fascistes - 4ème partie

Publié le par Adriana Evangelizt

 

Synarchie financière et dérives fascistes

4ème partie

3ème partie

2ème partie

1ère partie

Robert Marjolin, une vie au service de l'oligarchie financière anglo-américaine

L’économiste Robert Marjolin constitue l’un des meilleurs fils rouges que nous possédons pour suivre les politiques promues par l’oligarchie financière anglo-américaine et ses alliés continentaux, depuis les années trente jusqu’à sa mort en 1986.

Issu d’une famille très modeste, ce sont les deux représentants de la Fondation Rockefeller en France, Célestin Bouglé, directeur de l’Ecole normale supérieure et fondateur du Centre de documentation sociale, et Charles Rist, économiste de renom international, sous gouverneur de la Banque de France avant la guerre et fondateur de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), qui l’ont promu à un rôle de premier plan sur la scène internationale.

C’est alors qu’il passait son oral à la Sorbonne que Bouglé « repère » Marjolin. En 1932, il lui obtient une bourse aux Etats-Unis, à la Fondation Rockefeller, pour étudier les rapports entre la culture et la personnalité. En 1933, Bouglé présente Marjolin à Rist qui en fera son principal collaborateur à l’IRES.

Ses liens avec la Fondation Rockefeller propulsent Marjolin dans cet univers glauque d’avant-guerre qui fournira ses troupes à la Révolution nationale de Vichy. Cependant, tous n’ont pas collaboré avec les nazis, certains finissant par choisir, in extremis, d’entrer en résistance avec Churchill, lorsqu’ils se sont aperçus qu’Hitler avait décidé de s’attaquer à l’Europe de l’Ouest avant de s’en prendre à l’Union soviétique.

Bien que se réclamant du socialisme – Marjolin fut chargé de mission auprès de Léon Blum en 1936 dans le premier gouvernement du Front populaire – il pratique le grand écart entre ces idées et les groupes économiques les plus libéraux, voire même avec les milieux planistes inspirés par le néo-fasciste belge Henri de Man. En tant que principal collaborateur à l’IRES, Marjolin faisait de fréquents voyages à Londres pour travailler avec la London School of Economics,la Fondation Rockefeller finançait déjà les économistes qui allaient fonder en 1947 l’infâme Société du Mont-Pèlerin, Lionel Robbins et Friedrich von Hayek. Dans son autobiographie*, Marjolin dira tout le bien qu’il pense du « Reform Club » et de ces milieux où il « retrouvait d’excellents amis anglais » dont « Lionel Robbins ».

Marjolin sera aussi de ceux qui fondèrent l’organisation qui a préfiguré l’ultra-libérale Société du Mont-Pèlerin. Dès 1938, « Le colloque Walter Lippmann », organisé par le philosophe et économiste Louis Rougier, donna lieu à la création du Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme. Lippman, un publiciste américain, venait de publier un livre, The Good Society, qui avait fait fureur, renvoyant dos à dos socialisme et fascisme pour ce qui était du contrôle des moyens de production, mais proposant d’encadrer le libéralisme économique par un cadre juridique et policier tout aussi autoritaire. Sur les vingt-six personnalités présentes à la fondation de la Société du Mont-Pèlerin, en Suisse, en 1947, seize, dont les principales, avaient déjà participé à ce colloque d’avant-guerre à Paris, dont : Friedrich von Hayek, Ludwig von Mises, Walter Lippmann, M. Polany, et Walter Röpke. Parmi les Français, outre Louis Rougier, on trouvait sans surprise Raymond Aron, Robert Marjolin et Jacques Rueff qui, plus tard, travaillera avec de Gaulle. Notons que l’existence de ce colloque fut longtemps occultée par les fondateurs de la Société du Mont-Pèlerin en raison des liens très étroits entretenus par Louis Rougier avec le régime de Vichy. Lionel Robbins aurait ainsi émis son veto à la participation de Louis Rougier à la première réunion de Société du Mont-Pèlerin, en avril 1947, et ce n’est que dix ans plus tard, à Saint-Moritz, que Rougier réintégrera la Société, avec le soutien remarqué de Friedrich von Hayek.

Marjolin déclare, dans son autobiographie, qu’ » il y a trois noms auxquels (sa) pensée s’accroche parmi (ses) contemporains » d’avantguerre, «Raymond Aron, Eric Weil et Alexandre Kojève. Je leur dois, dit-il, une grande partie de ce que je pense, de ce que je suis. Il existait entre nous, malgré nos divergences, une unité profonde dans la façon dont nous jugions le monde qui nous entourait et le mouvement de l’histoire ». C’est également à cette époque qu’il fit connaissance d’Olivier Wormser à qui une grande amitié le liera jusqu’à sa mort. Marjolin participa au séminaire sur Hegel donné par Kojève à l’Ecole pratique des Hautes Etudes et fera entrer l’émigré franco-russe au ministère de l’Economie en 1945.

Notons enfin que, bien que Marjolin, tout comme Raymond Aron, aient participé à la résistance contre le nazisme, ils ont aussi collaboré avec les milieux qui suivirent le maréchal Pétain jusqu’au bout. Marjolin dit lui-même avoir été « un temps séduit » par le groupe du 9 juillet (1934), qui rassembla les « planistes » de tous bords autour d’un programme de corporatisme social et national de type fasciste. C’était une initiative de Jules Romain, un adepte de Jean Coutrot, fondateur, en 1931, du groupe X crise qui rassemblait des planistes « polytechniciens ». Il est aussi accusé d’avoir dirigé la Synarchie d’Empire. Le groupe Révolution constructive auquel participa Marjolin était une caisse de résonance du planisme de de Man. Quant à Raymond Aron qui, encore en 1983, écrivait : « Traîtres les collaborateurs, oui ; traîtres les tenants de la Révolution nationale, certainement non », il avait été un assidu des Décades de Pontigny, de Paul Dejardins, autre vivier de formation de la technocratie vichyste entre 1911 et 1939. 4

Alexandre Kojève, logique d’empire et dialectique du « maître-esclave »

Sans que la plupart des citoyens européens n’en aient la moindre idée, l’UEM qui leur a été imposée depuis le milieu des années 80 porte en elle le dessein d’un empire. Le manipulateur qui a le plus contribué à sa conception, lui aussi parfaitement inconnu de l’opinion publique, est un « philosophe » franco-russe du nom d’Alexandre Kojève.

Né en Russie, Kojève (1902-1968) s’exile en Allemagne en 1920. En 1926, il s’établit à Paris où il restera jusqu’à la fin de sa vie. Mais c’est à Berlin, dans les années 20, qu’il rencontre le philosophe juif allemand Leo Strauss (1899-1973), qui avait quitté l’Allemagne en 1932 pour Paris où il restera deux ans en relation avec Kojève avant de s’établir à Londres. En 1938, il part aux Etats-Unis où il formera à l’Université de Chicago la plupart des néo-conservateurs au pouvoir aujourd’hui dans ce pays. Kojève et Strauss resteront de proches collaborateurs toute leur vie, Strauss envoyant ses « brillants » élèves, tels Allan Bloom ou Francis Fukuyama, auprès de Kojève. A ce duo, il faut ajouter Carl Schmitt, juriste attitré des nazis. Notons que Strauss a pu prendre la route de l’exil grâce à la Fondation Rockefeller – toujours elle ! – auprès de laquelle Schmitt l’avait introduit. Après la guerre, Kojève participa activement à la réhabilitation de Carl Schmitt.

C’est un cycle de conférences sur Hegel, donné entre 1933 et 1939 à l’Ecole pratique de hautes études (EPHE), qui confère à Alexandre Kojève son influence totalement démesurée dans la vie politique française et européenne. En effet, on retrouve là un petit groupe d’hommes, parmi lesquels Raymond Aron, Robert Marjolin, George Bataille, Jacques Lacan et Raymond Queneau, qui jouera un rôle majeur dans les années qui suivirent, au service de l’oligarchie financière internationale.

Qu’Alexandre Kojève ait pu exercer une telle influence est proprement effrayant à l’étude de ses idées. Ardent défenseur du rétablissement des empires, il épousait entièrement la dialectique hégélienne du maître/esclave comme moteur de l’histoire. Son séminaire à l’EPHE portait surtout sur la section A du chapitre IV de la Phénoménologie de l’esprit d’Hegel, consacrée à cette dialectique du maître/esclave. Ce texte sert de préface à l’ouvrage qui présente l’ensemble des séminaires de Kojève.

Au début de ce texte, Hegel établit une différence entre l’homme et l’animal, ce dernier ne dépassant pas le stade du « sentiment de soi », alors que l’homme est « conscient de soi (..) et de sa dignité humaine ». Mais, ce n’est pas la raison qui permet à l’homme de devenir conscient de lui-même, mais un désir qui le pousse à se découvrir. « L’homme, nous dit-il, ne s’avère humain que s’il risque sa vie (…) dans une lutte à mort en vue de la reconnaissance » ! Autrement dit, c’est la capitulation ou la mort entre deux adversaires, dans une lutte à mort, qui permet à l’homme de reconnaître sa qualité humaine ! Mais comment un mort, ou deux, peuvent-ils reconnaître le vainqueur ? Hegel admet que pour que « la réalité humaine » puisse se constituer, « il faut que les deux adversaires restent en vie ». Dans cette lutte, donc, l’un « doit avoir peur de l’autre, (…) doit refuser le risque de sa vie en vue de la satisfaction (du) désir de « reconnaissance » » de l’autre. Or, le « reconnaître » ainsi, c’est le « reconnaître comme son Maître et se reconnaître et se faire reconnaître comme Esclave du Maître ». C’est cette dialectique qui définit l’histoire du monde, les esclaves dépassant les maîtres, le tout devant s’annuler à la fin de l’histoire, où maîtres et esclaves seront les deux à la fois…

Avec cette conception hégélienne, encore plus brutale que celle de Hobbes et préfigurant celle de Nietzsche, il n’est pas étonnant qu’Alexandre Kojève se fasse le défenseur des empires. C’est le thème principal d’une Esquisse d’une doctrine de la politique française rédigée en août 1945 et du Projet Kojevnikov datant de la même époque. Dans ce texte qui paraît aberrant par certains côtés, mais dont on voit l’influence certaine qu’il a eue sur la pensée néo-conservatrice aux Etats-Unis et en France, où « la Règle du Jeu » de Bernard-Henri Levy publiait encore des extraits en 1990, juste après la chute du Mur et la réunification de l’Allemagne, Kojève défend l’idée que l’ère des nations est révolue et que « pour être politiquement viable, l’Etat moderne doit reposer sur une vaste union impériale de nations apparentées ». Les économies nationales ne sont plus capables de financer les techniques militaires de la guerre moderne. Entre la nation et l’Empire homogène et universel de la fin de l’histoire, la réalité intermédiaire est celle des empires régionaux. Au sortir de la guerre, Kojève voit deux empires hégémoniques, l’empire « slavo-soviétique », à dominante religieuse orthodoxe, et l’empire « anglo-saxon » à dominante protestante, auquel viendra se joindre l’Allemagne.

Dans ce contexte, si la France veut continuer à exister, elle ne peut ni rester isolée, car son histoire en tant que nation est finie, ni se joindre à cet empire anglo-saxon, car elle risquerait de n’être plus qu’ » un hinterland militaire économique, et par suite politique, de l’Allemagne, devenue l’avant-poste militaire de l’Empire anglosaxon ». Usant des mêmes arguments géopolitiques qu’on a entendus chez Thatcher et Mitterrand à l’époque de la chute du Mur, Kojève soutient qu’une France avec 40 millions d’habitants serait incapable de faire face à une Allemagne de 80 millions ! Face à cette « réalité », Kojève n’hésite pas à faire appel à la vieille idée de Mussolini et de Laval en 1936, d’un empire des soeurs latines, et propose que la France constitue un empire latin catholique, « idée-idéal (…) où le peuple français aurait pour but et pour devoir le maintien de son rang de primus inter pares » ! Cet empire rassemblant 110 millions habitants mettrait en commun les « ressources de leurs patrimoines coloniaux », notamment africains, et aurait une politique économique et militaire unique. Sa zone d’influence se limiterait à la Méditerranée, ce mare nostrum. Mais qu’estce qui « apparente » ces trois nations ? La « douceur de vivre » qui transforme le « bien-être bourgeois en douceur de vivre aristocratique » !

Mais comment convaincre les Français qu’ils doivent proclamer « que la France est morte politiquement une fois pour toutes en tant qu’Etat-nation » ? Il faut qu’elle comprenne qu’elle « engendre l’empire afin de prolonger, dans le futur, l’autonomie et la grandeur que son présent purement national ne lui permet plus de soutenir ». N’estce pas le langage que toute l’élite politique nous tient actuellement, que la France ne peut plus agir puissamment dans le monde, autrement que par « l’Europe puissance »? La clé pour réussir, dit Kojève, c’est le général de Gaulle, mais « comment le convertir à l’idée de l’empire latin ? » Kojève élabore un plan visant à rassembler, pour soutenir son projet, les masses contrôlées par les communistes, la volonté politique du général de Gaulle et les élites économiques, technocratiques et culturelles. Il propose de mobiliser résistants « constructifs », fonctionnaires, techniciens et capitalistes, mais aussi tous « ceux qui avaient la foi dans la Révolution nationale » du Maréchal « et ont agi en conséquence. » Car il faut avoir des hommes d’action qui poussent aux limites, même s’ils ont fait des erreurs, pour aboutir. Ailleurs dans ce texte, qui propose de donner à l’empire latin juste assez de pouvoir militaire pour asseoir sa neutralité, Kojève fait l’éloge de cette période « d’objection de conscience » que fut Vichy.

Le général de Gaulle, on le sait, a bouleversé ce projet qui, sous sa forme d’Union latine, n’a probablement jamais été pris au sérieux. Il reste que depuis la mort de de Gaulle, quelque chose de très proche est apparu, bien qu’englobant l’Allemagne, sous la forme d’un ensemble régional interdépendant, dominé par une autorité supranationale, et que certains, en Angleterre, appellent déjà l’Empire européen et en France, plus pudiquement, l’Europe puissance.

La Banque Lazard

Le capitalisme encanaillé  contre les Trente Glorieuses

Commentaire sur Ces messieurs de Lazard, de Martine Orange

Albin Michel, avril 2006, 345 pages, 19 euros.

L’article central de ce dossier sur la Synarchie pointe le rôle clé de la Banque Lazard dans l’émergence du fascisme des années trente. Dans l’après-guerre, c’est encore la méthode Lazard qui est au cœur de toutes les mutations du capitalisme conduisant à la mise à mort du New Deal de Roosevelt, et de son corollaire en Europe, les politiques économiques des Trente Glorieuses. Alors que Roosevelt avait jugulé la puissance financière et réussi à créer un plein emploi productif en réorientant l’argent vers la production industrielle et les grands projets d’infrastructure, ces « Messieurs de Lazard » ont été un facteur déterminant dans le rétablissement du capitalisme pilleur des « robber barons » du XIXème siècle.

Rien de plus instructif que la réaction d’André Meyer, chef incontesté de la maison Lazard à New York entre 1940 et 1979, découvrant dans ce pays la finance « assagie » par les fortes régulations imposées par Roosevelt pour sortir de la dépression des années trente. Meyer est « déçu » de voir la maison Lazard, tout comme les autres, « assoupie, conformiste », traitant les « activités bancaires courantes entre 9 et 5 ». Meyer « était un financier, un homme de marché, des coups, qui n’aimait pas la banque » traditionnelle, confirme Michel David-Weill, le dernier des héritiers français qui a régné sur les destinées de la Maison jusqu’en 2002.

Lazard LLC, avec ses trois piliers à Paris, Londres et New York, « sont les héritiers des Fugger et des Médicis, descendants directs des grandes maisons bancaires du XIXème siècle qui vendent plus des idées, de l’information, du pouvoir que de l’argent », nous dit Martine Orange. Rappelons que les Fugger étaient les banquiers rapaces de Charles Quint qui, formés par l’oligarchie vénitienne, n’hésitaient pas à mettre l’Europe à feu et à sang pour assurer leur pillage financier. Fondée à la Nouvelle Orléans en 1848 par trois héritiers d’Abraham Lazard, un émigré de Bohème qui s’était installé à Fraeunberg, en Lorraine, dans les années 1780, la maison Lazard a apporté dans le nouveau Monde ce virus du capitalisme pilleur.

Depuis, ils ont gagné de l’argent, cette maison aimant par-dessus tout « ces moments de fièvre (…) où l’on mise gros, où l’on gagne beaucoup d’argent ». Leur fortune a grandi dans la ruée sur l’or en Californie, en spéculant sur la dévaluation du dollar par rapport à l’or pendant la guerre de sécession américaine, en investissant dans la dette de guerre des Etats, comme celle de la guerre franco-prussienne de 1871 ou dans les plans Dawes et Young de financement des réparations allemandes de la guerre de 1914. Finançant les dettes de guerre d’un côté, elle gagne gros également dans la dette contractée par les Etats pour organiser la reconstruction après guerre !

Aucune occasion de profit n’est laissée inexploitée et la maison fait ses principaux bénéfices en jouant les intermédiaires entre secteur public et privé. Banque de conseil avant tout, elle a gagné des sommes mirifiques en France dans les nationalisations, puis dans les privatisations, où elle a été partout présente soit en tant que conseil de l’Etat, soit des compagnies privées. Mentionnons enfin les domaines où elle a été initiatrice et leader ces trente dernières années : les OPA hostiles qu’elle a contribué à dédiaboliser et les marchés de fusions et acquisitions, processus de cartellisation des entreprises fortement inspiré des années 30.

Mais c’est surtout ce goût pour les coups pervers, qu’ils ont répandu dans le monde de la finance, qui illustre qu’aucune République ne sera à l’abri tant que ce type de maisons d’investissement ne sera pas fortement régulé par les Etats. Ecoutons ce que les principaux acteurs de l’OPA hostile lancée par Lazard, le 8 avril 1963, contre la Franco-Wyoming, une petite compagnie de négociants en pétrole entre l’Europe et les Etats-Unis, ont déclaré à Martine Orange sur cette équipée : « Je nous revois à Grand Central, un matin de printemps. Il faisait beau. Nous étions six ou sept à prendre le train pour aller dans l’Etat du Delaware. C’est là qu’était immatriculée la Franco-Wyoming. L’assemblée générale avait lieu là-bas. Nous partions y prendre le pouvoir », se souvient Jean Guyot, gérant associé, encore ravi plus de quarante ans après par cette aventure. Un moment d’encanaillement. « Nous sommes arrivés dans la salle », rajoute Michel David Weill. « Nous avons fait constater que nous avions la majorité. Et nous avons pris physiquement le contrôle de la société, en montant à la tribune. C’était un moment assez inattendu. ». La Franco Wyoming sera vendue par appartements, les actifs valant largement plus de deux fois le prix d’acquisition.

Avec de tels patriotes, qui a besoin d’ennemis ?

On ne saurait trop insister sur le rôle néfaste joué par cet établissement en France à partir des années 60. Là aussi, il a fallu déconstruire le pouvoir de l’Etat en tant qu’entité veillant au bien commun. « L’économie française, en ce début des années 1950, est un terrain bien limité. Les associés gérants de Lazard ont beau très bien connaître les hommes qui dominent le débat économique de l’après-guerre – Jean Monnet, Jacques Rueff, François Bloch-Lainé, Simon Nora, Antoine Pinay, Wilfried Baumgartner – cela ne donne pas les clés pour les affaires. La nécessaire modernisation de l’économie se trouve largement dans les mains de l’Etat. C’est lui qui planifie, commande, régule. Des pans entiers de l’industrie et de la finance ont été nationalisés au sortir de la guerre. »

De retour des Etats-Unis où il est allé apprendre toutes les astuces du métier auprès d’André Meyer, Michel David Weill prépare l’avènement du capitalisme encanaillé en France avec quelques patrons « novateurs » qu’on a mal nommé patrons de « gauche » : les deux frères Riboud, dont Antoine, connu comme étant le seul « ami » de David Weill, Jacques de Fouchier (Paribas), Paul Lepercq (de la banque de Neuflize Schlumberger à New York) et Jérôme Seydoux, de Chargeurs réunis.

Mais c’est Antoine Bernheim, associé gérant et capitaliste à Lazard qui, bien avant les autres, « a distingué ces nouveaux condottieri, hommes de puissance aux nerfs d’acier qui sont en train d’émerger de la crise et de la refonte économique. (…) Les marchés parlent déjà de certains de ses protégés » : Bernard Arnault qui a obtenu le contrôle du géant du luxe, LVMH, grâce à l’intervention contestée de Lazard, Vincent Bolloré, qui s’est bâti un empire africain sur les décombres des privatisations imposées par le FMI aux pays d’Afrique. Bernheim appuie aussi certains groupes, contribue à donner à Carrefour la place de numéro un en France, soutien la reprise du Printemps par François Pinault. Sans oublier Claude Bébéar, fondateur d’AXA, qui siège avec lui dans le conseil d’administration de la Generali, Jean-Marie Messier qu’il a fallu « vider » de Vivendi avant qu’une faillite monumentale n’entraîne l’ensemble de l’establishment, Edouard Stern, récemment assassiné à Genève en combinaison de latex noire…

En même temps, Lazard s’impose au sein même des conseils d’administration des établissements qu’elle conseille : « Avec un soin minutieux, la banque a mis le Cac 40 en coupe réglée. Elle a au moins un associé, parfois deux, dans chaque conseil d’administration. (…) En ces heures de gloire des années 80, Bruno Roger compte plus de sept mandats dont ceux d’UAP, Cap Gemini, Saint-Gobain, ðomson, LVMH, Elf, Lyonnaise des eaux ; Antoine Bernheim en a presque autant : il siège aux conseils d’Axa, LVMH, Eridania Beghin Say, Bolloré, PPR ; Jean-Claude Haas, lui, est chez Danone et Chargeurs, tandis que François de Combret siège aux conseils de Renault et de Sanofi » !

Le goût du pouvoir

Puis, il y a les politiques… « André Meyer ne veut pas s’occuper du grand public. Ce qui l’intéresse, lui, ce sont les décideurs, les puissants, ceux qui savent et qui ont le pouvoir. » Et pour atteindre le pouvoir, il faut contrôler les politiques. Dans un mode parfaitement vénitien, la banque infiltre les principaux clubs de décideurs (le Siècle, le Cercle de l’industrie de Strauss Kahn), recrute dans la haute fonction publique, profile et promeut les candidats potentiels bien avant leur arrivée au pouvoir, joue la gauche et la droite.

Typique de ce modus operandi, on a vu Jacques Attali, un de leurs très proches, s’activer en 2005, proposant ses services « d’éminence grise » aux candidats les plus « gagnants » : Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, à gauche, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin à droite, choisissant, pour finir, la candidature de Royal. D’après Orange, « le boulevard Haussman s’est préparé de longue date à la prochaine élection présidentielle. La banque à ses favoris. Elle mise sur un duel Sarkozy-Strauss-Kahn au deuxième tour ».

« A droite, l’emprise exercée par Bruno Roger, chef de Lazard Paris, sur la banque a été démultipliée grâce à ses connexions politiques avec la chiraquie. De la même promotion de Sciences Po que Jacques Chirac, le banquier a beaucoup mis en avant ces liens amicaux. (..) Proche d’Edouard Balladur, de Jacques Friedman, cultivant avec soin tout ce qui compte à droite, il s’est retrouvé ainsi au cœur de tous les processus de privatisation de l’économie française. Aujourd’hui encore, il continue à choyer cette relation présidentielle privilégiée. »

C’est Bruno Roger qui, avec Edouard Balladur, serait à l’origine de la conception des « noyaux durs » utilisée lors des privatisations pour s’assurer que, grâce à un système de participations croisées autour de grosses banques et compagnies d’assurances françaises, les principales privatisables resteraient entre des mains françaises. Ce schéma a réussi, à ceci près que ce n’est pas la France qui a été ainsi protégée, mais le capital français. Ce n’est pas pareil ! Les « noyaux durs » ont ainsi contribué à créer une véritable oligarchie française dont les besoins de pouvoir sont aux antipodes des intérêts de la nation France et de sa population.

A gauche, le récit de Martine Orange, corroboré par Laurent Chemineau dans son ouvrage L’incroyable histoire de histoire de Lazard frères, paru aux Editions Assouline en 1998, sur la façon dont Lazard a évité la nationalisation en 1981, vaut aussi le détour. Inquiets de voir les socialistes arriver au pouvoir avec un vaste programme de nationalisations exigé par le PC comme condition à sa participation au gouvernement, les principaux banquiers et chefs d’entreprise ont pris langue avec les dirigeants socialistes, et tout particulièrement avec Jacques Attali, pour tenter de peser sur ces options. Rothschild et Michel David Weill connaissent bien Jacques Attali avec qui ils prennent contact. A la veille des nationalisations, la seule inconnue qui reste concerne le seuil déterminant la nationalisation : sera-t-il de un milliard de francs de dépôts ou de un milliard de francs de crédit ? Divine surprise, c’est Jacques Attali qui, « avec François Hollande, jeune énarque tout juste sorti de l’école, (...) gère l’épineux dossier, en relation avec le PC ». « A la veille de la publication de la liste des établissements bancaires nationalisés, le 9 septembre 1981, Lazard en fait encore partie (…) le lendemain son nom a disparu. Le critère retenu est de un milliard de francs de dépôts. Heureux hasard : la banque Lazard n’a que 983 millions de francs de dépôts » ! Daniel Lebègue, alors conseiller à Matignon, est cité par Martine Orange sur cette affaire : « Jacques Attali savait qu’il était inutile de se battre pour Rothschild. C’était un nom trop symbolique. Politiquement indéfendable. Jamais le PC n’accepterait de le laisser hors du champ des nationalisations. Lazard, en revanche, personne ne connaissait en dehors des milieux d’affaires. Il s’est fixé comme objectif d’éviter sa nationalisation. C’était un de ses buts. Il l’a atteint. »

Mentionnons, enfin, les connections internationales de Lazard, ses relations avec Enrico Cuccia, de Mediobanca, Agnelli en Italie, mais surtout Felix Rohatyn à New York. Rohatyn fut le protégé d’André Meyer entre 1949 et 1998, puis ambassadeur des Etats-Unis à Paris entre 1998 et 2001, avant d’aller fonder sa propre maison Rohatyn Associates et de rejoindre la Banque Rothschild.

Felix Rohatyn est un homme très apprécié de l’élite parisienne. François Mitterrand lui avait décerné la Légion d’honneur et depuis son passage à l’ambassade, il fait partie des conseils d’administration de nombreuses sociétés françaises : Publicis, Planète Finance, LVMH... Rohatyn est aussi l’homme qui a construit, avec Meyer, le conglomérat ITT dans les années soixante aux Etats-Unis. Il est donc associé aussi à toutes les frasques de cette compagnie : l’affaire de l’OPA hostile contre l’assureur Hartford, qui a conduit à une enquête et à de sévères poursuites par la SEC ; l’affaire, surtout, du coup d’Etat fasciste de Pinochet contre Allende au Chili, où la compagnie s’est trouvée aux premières loges avec Henry Kissinger et George Shultz. En 1993, un associé de Lazard New York, Mark Feber est condamné pour corruption à de la prison ferme dans « l’affaire des obligations municipales », une affaire impliquant des pots-de-vin aux municipalités démocrates. Mais c’est Rohatyn qui, en tant que chef de Lazard, est aux avant-postes.

 « Quelques années plus tard, quand son nom sera évoqué pour la vice-présidence de la Réserve fédérale, pour devenir numéro deux d’Alan Greenspan, la communauté financière et les ennemis de la banque se souviendront de l’affaire des obligations municipales. Au bruit du scandale, l’associé de Lazard sera obligé de retirer sa candidature à ce poste qu’il avait toujours convoité. »

Aujourd’hui, la maison Lazard n’est plus entre les mains de ses fondateurs historiques français. Elle a été rachetée entièrement par l’américain Bruce Wasserstein. Mais ce virus de la banque vénitienne des « coups financiers », dont Lazard est l’une des souches les plus virulentes, a été répandu à tout le secteur bancaire. Tant que les Etats ne se donneront pas les moyens d’imposer des régulations sévères à ce type de pratiques, le péril demeurera dans la République.

Sources : Solidarité et progrès

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Un pouvoir fasciste

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A
je trouve votre blogs interessant pourkoi vous ne le mettez pas sur blogotop  car il mérite à etre plus connu
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