La Guerre contre la Vérité - 2ème partie

Publié le par Adriana Evangelizt

 

 

La Guerre contre la vérité 2

 1ère partie


11 Septembre, désinformation et anatomie du terrorisme

par Nafeez Mosaddeq Ahmed

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Traduit de l'anglais par Monique Arav et Kiersten Weeks

1ère partie

GÉOPOLITIQUE DU TERRORISME

 

“Ravis de ses impeccables lettres de créance saoudiennes,” note John Cooley, “la CIA et les généraux du renseignement pakistanais donnèrent carte blanche à Oussama en Afghanistan.”29 D’après Michael Springmann, ancien chef du bureau américain des visas à Jeddah, la CIA et l’Arabie Saoudite suivaient une politique commune visant à faciliter l’entrée des recrues de ben Laden aux États-Unis pour leur entraînement terroriste :


En Arabie Saoudite, des fonctionnaires haut placés du Département d’État m’ont, à de nombreuses reprises, donné l’ordre d’accorder un visa à des candidats qui ne remplissaient pas les conditions requises… Il s’agissait pour la plupart d’individus sans aucun lien avec l’Arabie Saoudite ni avec leur propre pays. Je m’en suis plaint amèrement lorsque j’étais en poste dans ce pays. De retour aux États-Unis, je me suis plaint au Département d’État, au General Accounting Office, au Bureau of Diplomatic Security et aux services de l’Inspecteur général. Je n’ai jamais obtenu de réponse. Je m’insurgeais en réalité contre les tentatives d’amener des recrues d’Oussama ben Laden aux États-Unis où elles seraient formées au terrorisme par la CIA avant de retourner en Afghanistan pour y combattre ceux qui étaient à l’époque les Soviétiques.30


En parallèle, Gulbuddin Hekmatyar, un agent secret afghan très important, recevait des fonds considérables fournis par la CIA via l’Inter- Services Intelligence du Pakistan. Pendant les années 80, ces sommes s’élevèrent chaque année à environ un demi-milliard de dollars, que l’Arabie Saoudite complétait par un montant pratiquement équivalent.31 L’ISI pakistanaise servait d’intermédiaire à la CIA pour faire passer aux rebelles afghans armes, planification et formation. Le Washington Post relève que la décision de Sécurité nationale signée par le président Reagan en mars 1985 – la directive 166 – précise que la guerre afghane visait à “infliger une défaite aux troupes soviétiques en Afghanistan au moyen d’opérations clandestines et à inciter les Soviétiques à se retirer.” L’opération clandestine comprenait “une augmentation spectaculaire de la quantité d’armes fournies – en progression constante pour atteindre 65 000 tonnes par an d’ici 1987,” alliée à “un flot incessant de spécialistes de la CIA et du Pentagone à destination du quartier général secret de l’ISI pakistanaise, situé sur la route principale, près de Rawalpindi, au Pakistan. C’est là que les spécialistes de la CIA rencontraient les officiers du renseignement pakistanais pour planifier les opérations des rebelles afghans.”32 L’ISI pakistanaise devint ainsi un instrument totalement intégré à la politique étrangère américaine dans la région, une “structure parallèle exerçant un pouvoir énorme sur tous les aspects du gouvernement.”33


Il ne s’agissait pas seulement d’une collaboration entre les agences de renseignement américaine et pakistanaise, mais d’une relation hiérarchique dans laquelle la CIA conservait la direction générale et dominait l’ISI, alors que cette dernière poursuivait des politiques entrant dans le cadre stratégique défini par son donateur principal, les États-Unis. Selon Jane’s Defense Weekly, les agents de l’ISI en contact avec al-Qaida reçurent l’aide des “commandos des bérets verts américains et des Navy Seals dans divers centres d’entraînement américains.” Plus de 10 000 moudjahidin furent ainsi “formés aux tactiques de guérilla et équipés d’armes sophistiquées.” En 1988, Jane’s rapporte que “ben Laden fonda al-Qaida (La Base) au vu et au su des États-Unis : un conglomérat de cellules terroristes islamiques pratiquement indépendantes et réparties dans au moins 26 pays.” Mais pour l’heure, “Washington fermait les yeux sur al-Qaida.”34


En même temps, les politiques de l’Arabie Saoudite et du Pakistan, supervisées par les États-Unis, contribuaient à l’édification d’un empire financier islamiste international d’une extraordinaire complexité. Oussama ben Laden joua un rôle central dans l’établissement de ce réseau mafieux. En quatre ans d’une enquête qui utilisa notamment des sources officielles du renseignement, Richard Labevière, journaliste primé de la télévision suisse, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique, découvrit que ce réseau faisait tout pour étendre sa puissance et sa richesse, malgré son engagement caché en faveur du wahhabisme saoudien. Ce réseau permettait à la CIA de recruter, de financer et de former des groupes terroristes dans tout le monde musulman. Le but de cette politique était de déstabiliser les mouvements nationalistes et communistes qui menaçaient les intérêts américains. Elle remporta l’un de ses succès les plus éclatants en aidant la confrérie des Frères musulmans d’Égypte à saper le pouvoir de Nasser. Le nationalisme panarabe de ce dernier était voué aux gémonies par les wahhabites et politiquement inacceptable pour la CIA qui, au-delà de la progression de l’indépendance dans la région, craignait la perspective d’une Égypte prosoviétique. En tandem avec les Saoudiens, la CIA mobilisa donc les extrémistes au Pakistan pour encourager la prolifération des sectes extrémistes, notamment en Afghanistan, au Pakistan, en Algérie, au Yémen, en Indonésie, aux Philippines. En parallèle, des centres de criminalité financière organisée liés à ces sectes s’établirent notamment en Malaisie, à Madagascar, en Afrique du Sud, au Nigeria, en Amérique latine, en Suisse, au Royaume-Uni et au Turkestan. L’objectif final était de contrecarrer les mouvements nationalistes et l’influence soviétique.35


L’APRÈS-GUERRE FROIDE NOURRIT LE CERVEAU DU TERRORISME


Après le départ des troupes soviétiques d’Afghanistan et l’effondrement de l’Union soviétique en 1989, les factions afghanes antisoviétiques se disputent le pouvoir. Malgré l’accord officiel de 1991, aux termes duquel les États-Unis et l’URSS ne soutiendront plus aucune faction en Afghanistan, le Département d’État américain attend avec impatience l’issue de cette rivalité. Selon Labevière, les sources de renseignement européennes révèlent que la CIA et les Saoudiens – désireux de s’assurer un régime conforme à leurs intérêts communs dans la région – conviennent alors de ne pas renoncer aux “atouts d’une collaboration aussi profitable,” ce qui fait référence à l’alliance conclue à l’époque de la guerre froide entre l’Afghanistan et les États-Unis, et qui était fortement contrôlée par Oussama ben Laden. Une série d’entrevues a ainsi lieu en 1991 entre la CIA, les services de renseignement saoudiens et ben Laden. Les termes exacts des accords n’ont pas été révélés, mais Labevière rapporte que la CIA était déterminée à conserver son influence en Afghanistan, “route vitale vers l’Asie centrale où les grandes compagnies pétrolières préparaient l’Eldorado énergétique du prochain millénaire.” Les Saoudiens entendaient, eux aussi, maintenir l’alliance ben Laden-Pakistan “à tout prix,” ce qui convenait aux États-Unis en leur garantissant un pilier de la résistance locale à l’influence de l’Iran chiite.36


D’autres sources dignes de foi viennent corroborer les conclusions de Labevière. En 1989, après le retrait soviétique d’Afghanistan, Oussama ben Laden “rentra en Arabie Saoudite où il dirigea pendant une brève période l’entreprise familiale de construction, à la maison-mère de Jeddah.”37 Même après 1991, alors que la sécurité saoudienne était censée garder le passeport de ben Laden “afin d’empêcher ou du moins de décourager ses contacts avec les extrémistes avec lesquels il avait travaillé... pendant le jihad afghan,” il conserva une influence considérable au sein des cercles royaux saoudiens : “Après l’invasion du Koweït par l’Irak, il fit pression sur la famille royale saoudienne pour organiser la défense civile dans le royaume et mobiliser d’anciens combattants afghans pour la lutte contre l’Irak.”38


Le régime saoudien déclina son offre, mais accepta l’arrivée de 300 000 soldats américains. Selon Gerald Posner – reporter d’enquête de premier plan qui participe régulièrement au Today Show de la NBC –, c’est à ce moment précis que ben Laden décida de devenir un ennemi du régime saoudien. Mais en avril 1991, selon un rapport secret des services de renseignement américains, le prince Turki al-Fayçal, alors chef du renseignement saoudien, conclut un accord secret avec ben Laden, pendant que ce dernier était en résidence surveillée suite à son opposition à la présence des soldats américains sur le sol saoudien. Aux termes de cet accord, que le régime désavouerait publiquement, ben Laden serait autorisé à quitter l’Arabie Saoudite avec ses fonds et ses fidèles. En outre, le régime continuerait à financer ses activités, pour autant qu’il ne prenne pas le Royaume saoudien pour cible.39 Le fait que Gerald Posner mentionne un accord secret entre ben Laden et le renseignement saoudien, accord dont le renseignement américain était informé, confirme la teneur globale des conclusions de Labevière. Ce dernier cite cependant des sources de renseignement européennes et va encore plus loin en suggérant une implication totale de la CIA dans l’accord de 1991. À eux seuls, les faits relatés par Posner indiquent assez clairement une connivence pour le moins tacite de la part des États-Unis, dans la mesure où le renseignement américain, pourtant parfaitement au courant du marché, n’intervint pas.


La guerre froide avait pris fin, mais le conflit se poursuivait en Afghanistan. Selon Barnett Rubin du Council on Foreign Relations, “les stocks massifs d’armes étaient toujours aux mains de l’armée, soutenue par les Soviétiques, et des combattants de la résistance islamique (soutenus par les États-Unis avec l’aide du Pakistan, de l’Arabie Saoudite et d’autres encore)” et continuaient à alimenter la lutte entre les nombreuses factions rebelles.40 Aux termes de l’accord secret conclu en 1991, les États-Unis, l’Arabie Saoudite et le Pakistan s’employaient toujours à manipuler le conflit en faveur de leurs propres intérêts. En août 1992, les tirs de roquettes des forces de Gulbuddin Hekmatyar – alors soutenu par le Pakistan et les États-Unis – avait fait fuir un demi-million de civils de Kaboul, la capitale, et tué plus de 2 000 personnes. Selon Human Rights Watch, à la fin de cette année-là, “le monde ne s’intéressait pratiquement plus au conflit et l’Afghanistan semblait au bord de la catastrophe humanitaire,” alors qu’Hekmatyar organisait l’escalade de la terreur “avec des armes financées par les Américains et les Saoudiens.”41


Quoi qu’il en soit, Hekmatyar ne porte pas seul la responsabilité des violences qui firent rage entre 1992 et 1996 et auxquelles contribuèrent toutes les factions rebelles, notamment sous la direction d’Ahmed Shah Massoud, de Burhanuddin Rabbani, d’Abdul Rachid Dostum, d’Abdul Ali Mazari et d’Abdul Karim Khalili.


Les atrocités commises par une vague fédération de factions connue sous le nom d’Alliance du Nord – devenue le “Front Uni” après 1996 – étaient exactement de même nature que celles du futur régime des talibans. Le spécialiste britannique du Moyen-Orient Robert Fisk évoque dans l’Independent “tout le palmarès sanglant et rapace des tueurs de ‘l’Alliance,’” un “gang de terroristes… L’Alliance du Nord, cette confédération de seigneurs de guerre, de patriotes, de violeurs et de tortionnaires qui contrôlent une frange du nord de l’Afghanistan, … a accompli sa [part de] massacres sur son propre terrain, en Afghanistan. Tout comme les talibans…”42 Il souligne que “le fait est qu’entre 1992 et 1996, l’Alliance du Nord a été le symbole de massacres, de viols systématiques et de pillages… Lorsque l’Alliance du Nord quitta [Kaboul] en 1996, elle laissait derrière elle 50 000 morts.”43

Sidney Jones, directeur de la division Asie de Human Rights Watch, relève que les commandants de l’Alliance du Nord, “dont le passé brutal met en cause la légitimité au sein de l’Afghanistan,” sont responsables de graves violations des droits de l’Homme pendant toute la durée de leur emprise sur une grande partie de l’Afghanistan, entre 1992 et 1996, parmi lesquelles on citera “les exécutions sommaires, les maisons incendiées et les pillages qui ont principalement frappé les ethnies pachtounes et autres personnes soupçonnées de soutenir les talibans.” L’Alliance “a ainsi accumulé un nombre déplorable d’attaques contre des civils entre la chute du régime de Najibullah en 1992 et la prise de Kaboul par les talibans en 1996.”44


Mais le contrôle de l’Afghanistan par les seigneurs de guerre de l’Alliance du Nord est de plus en plus contesté par les forces des talibans, soutenues par le Pakistan et l’Arabie Saoudite. Au début des années 90, les talibans ne forment pas plus un mouvement qu’une faction politique et militaire cohérente. En réalité, plusieurs factions, tels le Harakat-e Islami et Mohammad Nabi Mohammadi, opèrent en toute indépendance, sans aucun commandement central. Au milieu de l’année 1994, les membres de ces factions s’unissent pour former le mouvement taliban qui finit par conquérir Kaboul, la capitale, en 1996. Oliver Roy, spécialiste en politique islamique moderne et consultant auprès du ministère des Affaires étrangères français, observe que la victoire des talibans “a été largement orchestrée par les services de renseignement pakistanais [ISI] et la compagnie pétrolière Unocal avec son alliée saoudienne Delta Oil.” À l’époque, poursuit-il, le soutien du Pakistan aux talibans recevait également l’appui – public et privé – des autorités saoudiennes et de la CIA.45


À peu près à la même époque, en mai 1996, Oussama ben Laden se voit offrir la protection du Pakistan, à condition de s’aligner fermement, ainsi que ses forces, sur les talibans. Il s’empresse de partir pour l’Afghanistan. Le mois suivant, ben Laden et Abou Zubaida, son collègue haut placé au sein d’al-Qaida, rencontrent des militaires pakistanais de haut rang, parmi lesquels Musha Ali Mir qui deviendra chef de l’étatmajor de l’armée de l’Air pakistanaise un an avant le 11 Septembre. D’après ben Laden, l’alliance conclue entre al-Qaida et les talibans par l’intermédiaire du Pakistan reçoit “la bénédiction des Saoudiens” qui avaient déjà financé les talibans et al-Qaida.46


LA MONTÉE DES TALIBANS SOUS LES AUSPICES DES ÉTATS-UNIS


Seuls trois gouvernements de premier plan reconnaissent la légitimité du gouvernement taliban à la tête de l’Afghanistan : le Pakistan, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis – tous trois clients essentiels des États-Unis et des pays occidentaux47. Tout en proférant d’occasionnelles condamnations rhétoriques de la politique des talibans, les pays occidentaux ferment les yeux sur le soutien accordé à ce régime par leurs propres alliés.


Ainsi, Barnett Rubin relate que la politique américaine déclarée de promotion de la paix en Afghanistan a “été victime de toute une série de contradictions internes. La politique américaine envers l’Iran est en conflit avec la politique américaine officielle envers l’Afghanistan ; c’est là une des raisons pour lesquelles une grande partie de cette région est persuadée que les États-Unis soutiennent les talibans.” Rubin relève que : “Si les États-Unis soutiennent en réalité l’appui pakistano-saoudien des talibans, même si ce soutien n’est pas matériel, alors ils ont effectivement décidé de faire de l’Afghanistan la victime d’une nouvelle guerre par procuration – non plus contre l’URSS, mais contre l’Iran.” L’engagement américain à soutenir les Nations Unies pour amener la paix en Afghanistan s’est, lui aussi, vu ternir par “le refus du Congrès de débloquer des fonds pour la quote-part américaine à l’ONU et la participation américaine aux dépenses pour le maintien de la paix.” Pire encore, poursuit Rubin : “Les États-Unis n’ont pas décrit et critiqué de manière directe les types d’interférence extérieure en Afghanistan,” qui émanent notamment du Pakistan et de l’Arabie Saoudite. “Les déclarations publiques du Département d’État condamnent ces interférences, sans jamais toutefois en préciser les auteurs.”48


Les preuves ne manquent pas pour suggérer que ces politiques, en apparence contradictoires, s’expliquent par un seul facteur : le cautionnement. De 1994 à 1998, les États-Unis soutiennent les talibans qui leur permettaient de poursuivre et diriger l’engagement américain dans la région. Entre 1999 et 2000, le gouvernement américain maintient son appui, malgré une multiplication des mises en garde, avant de le diminuer et même de changer de camp en 2001.

En réalité, les intérêts américains en Afghanistan ont toujours été fort pertinents, comme le note Elie Krakowski, ancien assistant spécial du sous-secrétaire américain à la Défense chargé de la politique de sécurité internationale (1982-1988), un homme qui “en sait plus sur l’Afghanistan que quiconque sur le sol américain,” selon Tony Fox, de Fox News. Krakowski écrit que

l’Afghanistan est à la croisée de ce que Halford MacKinder a appelé le ‘cœur du monde’ et du sous-continent indien… Il doit son importance à cette position où convergent les routes principales. Frontière entre les puissances terrestre et maritime, c’est le point de rencontre de forces opposées qui le dépassent. Alexandre le Grand s’en est servi pour ses conquêtes, tout comme les Mongols. Après avoir été convoité par les empires russe et britannique au XIXe siècle, l’Afghanistan a fait l’objet de controverses entre les superpuissances soviétiques et américaines au XXe siècle. Avec l’effondrement de l’Union soviétique, il est devenu synonyme d’accès potentiel à la mer pour les nouveaux États d’Asie centrale qui n’en disposent pas. D’importants gisements de gaz et de pétrole y ont attiré pays et multinationales… L’Afghanistan étant un pivot stratégique essentiel, ce qui s’y passe affecte le reste du monde.49


Selon Amnesty International, “de nombreux analystes spécialisés sur l’Afghanistan sont d’avis que les États-Unis ont entretenu des liens étroits avec les milices des talibans. Ils évoquent les visites des représentants talibans aux États-Unis au cours des derniers mois, ainsi que plusieurs déplacements de fonctionnaires haut placés du Département d’État américain à Kandahar, dont l’un a eu lieu juste avant la prise de Jalalabad par les talibans.” Amnesty renvoie à un commentaire du Guardian : “D’importants chefs talibans ont assisté à une conférence à Washington au milieu de l’année 1996 et des diplomates américains se sont régulièrement rendus au quartier général des talibans.” Le Guardian déclare que, même si ces “visites peuvent s’expliquer... leurs dates les rendent sujet à caution, tout comme l’attitude globalement approbative des officiels américains envers les talibans.”50 En outre, l’Agence France-Presse révèle :


Au cours des mois qui ont précédé la prise du pouvoir par les talibans [en 1996], l’ancienne secrétaire d’État américaine adjointe pour l’Asie du Sud, Robin Raphel, s’est livrée à d’intenses navettes diplomatiques entre les puissances susceptibles d’avoir des intérêts dans le projet [UNOCAL]. “Robin Raphel a été le visage du pipeline d’Unocal,” a déclaré un officiel de l’ancien gouvernement afghan qui a participé à certaines de ces réunions... Non seulement le [projet] permettait l’exploitation de nouvelles sources d’énergie, mais il s’alliait parfaitement à un objectif stratégique américain essentiel dans la région : l’isolement de la Némésis iranienne et l’étouffement d’un oléoduc rival souvent disputé et soutenu par Téhéran, selon les experts.51


Amnesty confirme également que de récents


rapports des madrasa [écoles religieuses] fréquentées par les talibans au Pakistan indiquent que ces liens [occidentaux] [avec les talibans] pourraient s’être noués dès le début du mouvement taliban… Dans une interview diffusée par le BBC World Service le 4 octobre 1996, Benazir Bhutto, alors Premier ministre du Pakistan, affirmait que les madrasa avaient été mises sur pied par la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Arabie Saoudite et le Pakistan pendant le jihad et la résistance islamique contre l’occupation de l’Afghanistan par les Soviétiques.52

Selon Selig Harrison, expert spécialisé dans les relations des États-Unis avec l’Asie, la création des talibans a été “activement encouragée par l’ISI [pakistanaise] et la CIA.”53 En 1996, alors que les talibans ont consolidé leur domination, Glyn Davies, porte-parole du Département d’État, explique que les États-Unis n’y ont “rien [trouvé] de répréhensible”. L’approbation américaine est également révélée par le sénateur Hank Brown, président de la Sous-commission du Sénat chargée des relations étrangères pour le Proche-Orient et l’Orient méridional qui déclare : “Ce qu’il y a de bon dans ces événements, c’est qu’une faction semble enfin capable de former un nouveau gouvernement en Afghanistan.”54 Suite à la visite à Islamabad et Kandahar du prince Turki, chef des services du renseignement saoudiens, l’Arabie Saoudite, alliée des États-Unis, finança et équipa la marche des talibans sur Kaboul.55


De nombreux experts américains pour l’Afghanistan admettent que la montée des talibans s’est effectuée avec le soutien occulte des États-Unis. Ainsi, l’Agence France-Presse cite Radha Kumar, du Council on Foreign Relations, qui déclare que les talibans


ont été portés au pouvoir avec la bénédiction silencieuse de Washington qui se livrait alors à un nouveau ‘Grand Jeu’ manqué en Asie centrale… Désireux de voir l’Afghanistan soumis à la poigne d’un gouvernement central fort afin de permettre à un groupe mené par les États-Unis de construire un oléoduc et un gazoduc de plusieurs milliards de dollars, Washington poussa ses principaux alliés – le Pakistan et l’Arabie Saoudite – à soutenir la tentative de prise du pouvoir par la milice en 1996, ont déclaré les analystes… Les États- Unis ont certainement encouragé l’Arabie Saoudite et le Pakistan à soutenir les talibans jusqu’à leur marche sur Kaboul… Un motif-clé de l’intérêt que les États-Unis portaient aux talibans était l’oléoduc et le gazoduc de 4,5 milliards de dollars qu’un consortium pétrolier mené par les États-Unis prévoyait de construire dans un Afghanistan ravagé par la guerre… [Le] consortium [pétrolier] craignait qu’aucun oléoduc ne soit possible tant que l’Afghanistan, ravagé par les conflits depuis le retrait soviétique de 1989, resterait divisé entre seigneurs de guerre rivaux.56

 
Le professeur William O. Beeman, anthropologue et directeur des études sur le Moyen-Orient à la Brown University et spécialiste de l’Asie centrale islamique, fait lui aussi remarquer que

 
Chacun sait, surtout dans cette région, que les États-Unis, le Pakistan et l’Arabie Saoudite soutiennent depuis un certain temps les intégristes talibans dans leur lutte pour le contrôle de l’Afghanistan. Les États-Unis n’ont jamais admis ouvertement cette connexion, mais elle a été confirmée au Pakistan, tant par des sources venant du renseignement que par des organisations
caritatives
.57

Le professeur Beeman, qui observe depuis longtemps la situation en Afghanistan, souligne que les talibans soutenus par les États-Unis “sont un groupe d’intégristes brutaux qui ont mené une politique culturelle de la terre brûlée” en Afghanistan. Une documentation considérable démontre que les talibans ont “commis des atrocités contre leurs ennemis et contre leurs propres citoyens… Alors pourquoi les États-Unis les soutiendraient-ils ?” Beeman conclut que la réponse à cette question “n’a rien à voir avec la religion ni l’appartenance ethnique, mais uniquement avec l’économie pétrolière. L’un des plus riches gisements pétroliers du monde se trouve au nord de l’Afghanistan, sur la rive est de la mer Caspienne, dans les républiques qui se sont formées au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique.” Le pétrole de la mer Caspienne doit être transbordé hors de cette région sans littoral par un port qui ne gèle jamais.
L’itinéraire “le plus simple et le meilleur marché” consiste à faire passer le pipeline par l’Iran – mais l’Iran est un “ennemi” des États-Unis, pour toute une série de raisons stratégiques, notamment l’aversion du régime pour les projets américains dans la région. Comme le relève Beeman : “Le gouvernement américain porte une telle antipathie à l’Iran qu’il est prêt à tout pour éviter cela.” L’autre solution consiste à passer par l’Afghanistan et le Pakistan, ce qui “impliquerait d’obtenir l’accord des autorités constituées en Afghanistan” – c’est-à-dire des talibans. Les élites pakistanaises profiteraient également de cet arrangement, “raison pour laquelle elles sont disposées à défier les Iraniens.” Par conséquent, pour les États-Unis, la solution était “que les talibans anti-iraniens l’emportent en Afghanistan et acceptent de faire passer le pipeline sur leur territoire.”58


L’évolution des talibans sera probablement semblable à celle des Saoudiens,” commente un diplomate américain en 1997, en soulignant la vision américaine d’un “Afghanistan libre”. “Il y aura Aramco [un consortium de compagnies pétrolières qui contrôle le pétrole saoudien], des oléoducs, un émir, pas de parlement et de la charia un peu partout. Rien dont nous ne puissions nous accommoder.”59 C’est ainsi qu’en décembre 1997, des représentants talibans sont invités au Texas, au siège d’UNOCAL pour y négocier leur appui au pipeline. Dans l’intervalle et avec l’approbation du gouvernement américain, UNOCAL avait déjà commencé à former des Afghans à la construction d’oléoducs.


    Une délégation de haut rang du mouvement taliban en Afghanistan se trouve aux États-Unis pour des pourparlers avec une entreprise d’énergie internationale qui souhaite construire un gazoduc allant du Turkménistan au Pakistan via l’Afghanistan… Un porte-parole de cette société, Unocal, a déclaré que les talibans passeraient plusieurs jours au siège de la société à Sugarland, au Texas… Un correspondant régional de la BBC a affirmé que le projet de construction d’un oléoduc passant par l’Afghanistan fait partie d’une ruée internationale sur le riche potentiel énergétique de la mer Caspienne… Unocal… a mandaté l’université du Nebraska pour enseigner aux Afghans les techniques requises pour la construction des pipelines. Presque 140 personnes se sont inscrites le mois dernier à Kandahar et Unocal prévoit également des cours de formation administrative destinés aux femmes. Bien que les autorités talibans n’autorisent le travail des femmes que dans le domaine de la santé, les organisateurs de cette formation ont déclaré n’avoir suscité aucune objection à ce jour.60

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Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans OUSSAMA BEN LADEN

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