La poubelle de San Francisco

Publié le par Adriana Evangelizt

 

 

 

 

La poubelle de San Francisco



 

par Nicolas Bérubé

 

 

Daniel Magrum, 18 ans, garde son inhalateur sur en permanence.
Photo J. Emilio Flores




La première chose qui vous accueille a Arvin est le smog. Une longue tache brunâtre au-dessus des champs. C’est moins un nuage de fumée qu’une fine couche de brouillard. Un voile dont la couleur et l’aspect rappellent celles de la crasse.

La deuxième chose que l’on remarque, c’est qu’il n’y a pas d’usine. Rien. La ville la plus polluée des États-Unis vit de l’agriculture. Dans la rue principale, l’hôtel de ville est situé entre un McDo, un Subway et un terrain vague. Pas de voitures neuves ici. Que de vieux pick-up. On compte, à vue de nez, trois Latinos pour un Blanc. Trois pauvres pour un riche. Trois commerces barricadés pour un qui fonctionne à peu près.

L’air d’Arvin n’est jamais propre ni frais. Ça, les 15 000 habitants de la ville le savent depuis longtemps. En décembre 2006, ils ont appris autre chose : l’air qu’ils respirent est officiellement le pire au pays.

Presque complètement entourée de montagnes, la petite ville reçoit les polluants qui émanent de la zone industrielle entourant San Francisco, à 400 km de là.

Les montagnes forment une sorte de cul-de-sac et c’est ici que les composés organiques volatils, le dioxyde de nitrogène et d’autres polluants restent prisonniers. Chauffés par le soleil, ils forment une couche de smog. Une vision surréelle dans cette zone agricole isolée, où des immigrés latinos travaillent à récolter des fruits et des légumes qui sont vendus partout en Amérique du Nord.

Oscar Castillo, propriétaire d’un petit magasin de meubles dans la rue principale d’Arvin, n’a pas été surpris d’apprendre que l’air était aussi pollué. Le matin, après son déjeuner, il dit sentir une odeur métallique en sortant de chez lui.

«À la radio, ils nous avertissent chaque jour de la qualité de l’air. D’habitude, l’air est mauvais, parfois, il est très mauvais… Dans ce temps-là, je rentre chez moi directement après le travail. C’est moins dangereux quand on reste à l’intérieur.»

Entre 2004 et 2006, Arvin a connu environ 73 jours de smog par année. Durant la même période, la ville de San Francisco en a connu quatre.

Raji Brar, élue au conseil municipal d’Arvin et membre du comité qui supervise la qualité de l’air du district, a été dégoûtée l’an dernier d’apprendre que sa ville avait la pire qualité de l’air au pays.

«C’est frustrant, dit-elle. Nous n’avons aucune usine. Nous ne pouvons pas avoir de réel dialogue avec les pollueurs. Ils sont à des centaines de milles d’ici. Qui va écouter les plaintes d’une petite ville perdue dont 75 % des habitants sont pauvres?»

L’asthme comme mode de vie

Assis sur la galerie de la maison de ses grands-parents, Daniel Mangrum, 18 ans, lit un magazine en buvant un Coke. Dans la poche droite se trouvent son cellulaire et ses clés. Dans la gauche, il garde son inhalateur.

«Je ne sais jamais quand je vais en avoir besoin, dit-il. Ça me prend parfois sans que je m’y attende. Je suis chez moi, et puis tout d’un coup j’ai une crise et ça me prend mon inhalateur. C’est comme ça depuis que je suis petit, mais ça empire avec les années.»

Dans une petite ville comme Arvin, les autorités ne mesurent pas le taux de prévalence de l’asthme. Or, dans le comté de Kern, où se trouve la ville, le taux d’asthme infantile est de 17,5 %, alors que la moyenne nationale est de 12,2 %, selon les California Department of Health Services.

Miguel Perez, 20 ans, n’avait pas d’allergies quand il a déménagé à Arvin avec sa famille, dans les années 90. Dix ans plus tard, il ne se déplace jamais sans son inhalateur.

«Je l’utilise souvent, parfois deux ou trois fois par jour. Beaucoup de gens que je connais ici font de l’asthme. J’ai un purificateur d’air dans ma chambre, ça aide, mais ça n’élimine pas le problème complètement.»

Alicia Perez, une retraitée qui habite à Arvin depuis 34 ans, se rappelle que l’air de sa ville n’a pas toujours été aussi malsain. «Avant, il n’y avait pas de smog dans les champs. C’est nouveau, tout ça. Ça s’est détérioré au fil des ans.»

Son fils et sa fille sont âgés respectivement de 22 et 27 ans. Tous deux sont asthmatiques.

«Mon fils doit porter un masque quand il tond le gazon. Sinon, il ne peut pas respirer. C’est comme ça depuis qu’il est petit… C’est certain que nous n’aimons pas ça, mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Notre vie est ici.»

Sursis pour les pollueurs

Récemment, le comité d’État sur la qualité de l’air, dont Mme Brar fait partie, a voté pour accorder un sursis aux industriels. Ceux-ci ont maintenant jusqu’à 2023 pour réduire leurs émissions de polluants causant le smog. Mme Brar a voté contre ce délai.

«J’étais scandalisée de voir que le problème n’était pas pris au sérieux, dit-elle. Je crois que les membres du comité seraient plus pressés d’agir si la pollution touchait leur propre ville, leur propre famille…»

En juin, le gouverneur Arnold Schwarzenegger a congédié le responsable du comité sur la qualité de l’air, accusé de prêter une oreille trop attentive aux doléances des grandes entreprises au détriment de l’intérêt public. Le comité doit réévaluer les décisions prises récemment. Impossible de savoir si le sursis accordé aux industriels sera révisé.

Entre-temps, les citoyens d’Arvin commencent à s’organiser. Le fait que leur ville ait décroché le titre de «ville la plus polluée des États-Unis» a donné à leur cause une visibilité nationale. Ils espèrent que cela va pousser les autorités à agir.

«Nous voulons faire parler de nous, indique Mme Brar. C’est la seule façon de faire bouger les choses. Si nous ne secouons pas le gouvernement, personne ne va lever le petit doigt. C’est facile pour eux d’oublier que nous sommes là.»

Sources Cyberpresse

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans LA MISERE AUX USA

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