«C'est vous, Canadiens, qui êtes responsables de la torture...»

Publié le par Adriana Evangelizt

«C'est vous, Canadiens, qui êtes responsables de la torture...»

par Michèle Ouimet

Le Canada ne torture pas les talibans faits prisonniers par son armée. Mais il les remet aux autorités afghanes qui, elles, font un peu moins dans là dentelle. À ce qu'on dit. Voici le premier volet d'une grande enquête menée sur le terrain par notre envoyée spéciale, qui à rencontré plusieurs prisonniers victimes de sévices.

Même si Ottawa a conclu une entente avec le gouvernement afghan au printemps, les prisonniers capturés par les soldats canadiens sont encore torturés dans les locaux des services secrets à Kandahar.

Frappés à coups de brique, privés de sommeil, ongles arrachés, chocs électriques. Certains détenus doivent rester debout, les bras en l'air, pendant deux jours et deux nuits. Leurs pieds deviennent tellement enflés que leurs menottes ne peuvent plus bouger.

D'autres ont les bras attachés dans le dos et sont suspendus à un mur, puis frappés avec des câbles électriques.

J'ai visité la prison de Kandahar, Sarpoza. Trois prisonniers capturés au cours des derniers mois m'ont raconté qu'ils avaient été torturés.

Un des hauts responsables de la prison, qui ne veut pas être identifié mais qui était présent lors des entrevues, a confirmé. «Oui, a-t-il dit, les détenus sont torturés par les services secrets avant d'être emmenés chez nous, à Sarpoza.»

Le 23 avril, le Globe and Mail avait écrit que la majorité des prisonniers capturés par les Canadiens étaient torturés par les autorités locales.

Cette révélation avait déclenché une controverse monstre. Le gouvernement Harper avait réagi et signé une entente avec le président afghan, Hamid Karzaï. Depuis, affirme Ottawa, la torture n'existe plus.

Faux, ont dit les trois détenus qui ne veulent pas être identifiés. «En août, a raconté l'un d'eux, des soldats sont entrés chez moi, le soir, et ils m'ont arrêté avec six autres personnes. Ils nous ont accusés d'être des talibans.»

Les soldats les ont emmenés au quartier général des Forces spéciales américaines à Kandahar avant de les transférer à la base militaire de l'OTAN où sont stationnées les troupes canadiennes.

«Nous avons passé 12 jours dans la prison de la base militaire, a précisé le détenu. Les soldats nous ont interrogés une seule fois et nous avons été bien traités.»

Mais les choses se sont gâtées lorsque les prisonniers ont été transférés aux services secrets, le NDS (National Directorate Security).

«Les Canadiens nous ont dit de ne pas avoir peur, a poursuivi le prisonnier. Ils nous ont donné un document qui affirmait qu'il n'y avait plus de torture en Afghanistan. Les gens des services secrets l'ont déchiré et ils me l'ont jeté à la figure. Ils m'ont torturé pendant 20 jours. J'ai protesté, j'ai dit que les Canadiens m'avaient promis qu'il ne m'arriverait rien. Ils m'ont répondu: On n'est pas au Canada ici, on est chez nous! Les Canadiens sont des chiens! ' Les services secrets n'écoutent personne, ni Karzaï ni le Canada.»

Un autre prisonnier, qui a aussi été torturé, a lancé: «C'est vous, les Canadiens, qui êtes responsables de la torture parce que vous nous livrez aux services secrets qui agissent comme des sauvages!»

Selon la Commission afghane des droits de la personne, la torture existe toujours, mais la situation s'est améliorée depuis que le Canada est intervenu au printemps.

«Environ le tiers des prisonniers sont encore torturés et l'OTAN le sait, a affirmé un porte-parole, Shamuldin Tanwir. Les Canadiens nous donnent une enveloppe scellée avec les noms des prisonniers capturés. Le problème, c'est que cette liste ne correspond jamais à celle des services secrets.»


Une prison insalubre


Plusieurs prisonniers passent des mains des Canadiens aux services secrets, puis directement à la prison de Sarpoza. Sans juge, ni procès, ni avocat.

«Le système judiciaire est quasiment inexistant, a souligné le porte-parole de l'ONU (UNAMA), Rupert White. Il n'y a qu'un seul procureur pour la province de Kandahar. Interjeter appel est pratiquement impossible. Les juges doivent venir de Kaboul, mais ils refusent. Personne ne veut s'occuper d'un procès politique. Ils ont peur des représailles des talibans. Alors, les délais sont extrêmement longs.»

Et il manque de tout. «Il n'y a pas d'avocats ni d'expertise légale, a ajouté M. White. Il n'y a même pas de copies des lois.»

La prison de Sarpoza est insalubre et surpeuplée. Elle accueille 1200 hommes et une poignée de femmes. Chaque cellule compte 18 détenus. Ils dorment sur des nattes jetées sur le ciment. Seul le chef des prisonniers a un lit. Il n'y a ni eau chaude ni chauffage. L'hiver, les cellules sont glaciales. Le thermomètre chute à moins 10.

Les toilettes sont minimalistes: un trou caché par un vieux rideau. Des souris et des serpents entrent dans les cellules en passant à travers les murs de pierre. Les détenus bouchent les trous avec des sacs de plastique.

Il manque de tout: de couvertures, de draps, de médicaments, de gants pour nettoyer les toilettes. Les pannes d'électricité sont fréquentes, des ampoules nues pendent des plafonds et des vieux fils courent le long des murs.

«J'ai souvent demandé aux Canadiens de nous aider, mais ils ne font rien, s'est plaint un des hauts responsables de la prison. Ça fait deux ans qu'on les supplie de nous installer des vitres aux fenêtres pour nous protéger du froid. L'hiver s'en vient et le Canada n'a encore rien fait.»

Les Canadiens ont refusé de réagir aux allégations de torture. J'ai demandé une entrevue au responsable des services correctionnels posté à Kandahar. La relationniste m'a dit d'appeler Ottawa. Ce que j'ai fait. Réponse: pas de commentaire.

J'ai aussi contacté l'ambassadeur du Canada à Kaboul, le seul civil qui a le droit de parler aux journalistes. J'attends toujours son appel.

Sources Cyberpresse

Posté par Adriana Evangelizt



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