QU'APPELEZ-VOUS AL QAÏDA ?

Publié le par Adriana Evangelizt

Un interview d'Alain Chouet à TF1, ancien chef du Service de renseignement de sécurité de la DGSE, il nous livre quelques renseignements intéressants sur la vraiment très "nébuleuse" Al Qaïda... en parallèle aussi avec l'article précédent...

 

Attentats visiblement organisés de longue date à Londres puis Sharm el-Cheikh en deux semaines. Est-ce le début d'une "offensive généralisée" d'Al Qaïda avec des actions de plus en plus rapprochées ?

 

D'abord une note liminaire : Qu'appelez-vous la "Qaïda" ? L'organisation connue sous ce nom et qui avait succédé au Maktab ul-Khidamat au Pakistan et en Afghanistan avec à sa tête Ayman Zawahiri et Oussama Ben Laden a disparu pendant l'offensive américaine en Afghanistan. Ses membres survivants ou encore en liberté - ils sont très peu nombreux - se sont dispersés au Pakistan ou sont revenus en Arabie. Cette Qaïda là est bien incapable d'organiser quoi que ce soit et ne doit son existence qu'à l'insistance des journalistes occidentaux à la désigner à tout propos sans le moindre commencement d'évidence.

 

Le plus clair résultat de cette insistance est que le nom même de Qaïda est devenu un "drapeau" dont s'affublent tous les aspirants terroristes d'inspiration islamiste, qu'ils aient ou non été en rapport avec l'organisation du temps de sa splendeur avant 2001. Il s'ensuit une confusion extrême et des erreurs de diagnostic permanents.

 

Les opérations actuelles sont le fait de la mouvance Frères Musulmans-Jamaa Islamiyya (dont la Qaïda n'a été qu'une manifestation localisée et temporaire). C'est de cela qu'il faut parler et non d'une organisation mythique qui ne fait que dissimuler les véritables auteurs présents parmi nous dans les mosquées, les centres culturels, les écoles, les associations "caritatives" et autres "associations de bienfaisance".

Le problème de cette mouvance, issue de la Confrérie des Frères Musulmans d'Égypte et financée (pour des raisons politico-religieuses diverses) par les pétromonarchie du Golfe, c'est qu'il ne s'agit pas d'une organisation politico-militaire structurée et hiérarchisée. C'est une "confrérie" dont les membres agissent de façon collégiale et consensuelle. Chacun s'efforce à son niveau d'aller dans le sens de la stratégie globale décidée par la confrérie sans avoir à solliciter d'autorisation ou à rendre de compte. Au plus peut-il y avoir quelques éléments de concertation sur le timing des opérations mais ce n'est même pas obligatoire. Chaque "élément local" (que personne ne prendra jamais les armes à la main) fait donc ce qu'il peut, comme il peut, quand il peut avec la main d’œuvre locale qu'il a réussi à "convertir" et à convaincre de se jeter dans la violence - et sans se soucier de ce qu'elle deviendra car les exécutants (en général des amateurs de circonstance) ne sont jamais des professionnels de l'action armée clandestine et sont considérés comme "jetables" et parfaitement remplaçables.

Voila pour la toile de fond. Revenons à vos questions :

Le lien entre les attentats de Londres et de Sharm el-Cheikh ne m'apparaît pas du tout clairement et je ne pense pas qu'il existe.

Sur le plan opérationnel il ne faut pas des mois pour préparer de telles actions et elles n'avaient nul besoin d'être coordonnées, chacune répondant à des stratégies et des objectifs différents et non liés. Quant à l'offensive "généralisée" des Jamaa Islamiyya, elle est permanente depuis les années 95 et vise à prendre le pouvoir dans les pays arabes riches sans que les Occidentaux aient envie d'intervenir. Comme le dit Ayman Zawahiri "Nous ne faisons pas une guerre pour conquérir du terrain, nous faisons une guerre pour prendre le pouvoir". Dans cette optique, des attentats fortement médiatisés et revenant à intervalles plus ou moins espacés mais réguliers sont un moyen économique et efficace. Les études d'opinion en Occident montrent que le temps de rémanence moyen de l'info chez ceux qui la reçoivent est de trois à cinq mois. Ce n'est donc pas la peine de se fatiguer à faire un attentat par jour. Trois à cinq mois entre deux opérations, sur toile de fond d'opérations quotidiennes en zones de conflit (Irak, Palestine, Afghanistan, etc.) constituent donc une bonne application des théories de l'idéologue.

Date symbolique à Londres avec le G8, ville symbolique en Egypte, préparations minutieuses : peut-on imaginer une tête pensante derrière ces attentats et pas simplement des équipes agissant seules ?

L'essence du terrorisme est de frapper des cibles symboliques en des lieux symboliques à des dates symboliques. Tuer trois Zimbabwéens n'importe quand au fond de la forêt amazonienne n'a aucun sens.

La GB, en tant qu'intervenant potentiel dans le monde arabe, est une cible permanente (comme les États Unis, la France et nombre d'autres pays "développés").

 Elle s'était prémunie du danger en sanctuarisant son territoire dès le début des années 90 en disant aux islamistes : "Faites ce que vous voulez chez nous à condition que ce ne soit pas contre nous". Cela a plutôt bien marché jusqu'en 2001. A partir du 11 septembre, les Anglais - sous pression américaine - ont commencé à révoquer ce marché, puis sont intervenus en Irak aux côtés des Américains, puis enfin ont traduit en justice le grand patron des Frères en Angleterre, Abou Hamza el-Masri. A partir de là, la réaction des Frères était inévitable. Et ils avaient de la main d’œuvre potentielle à revendre du fait qu'on les avait laissé faire leur propagande pendant près de 15 ans. Évidemment la date de la tenue du G8 était un moment à privilégier si possible mais sans obligation particulière. Cela n'aurait pas changé grand chose si l'opération avait eu lieu 15 jours avant ou 15 jours après.

 En Egypte, la situation est différente. Les Frères cherchent à y prendre le pouvoir depuis l'assassinat de Sadate et la conjonction actuelle est importante pour eux : marquer leur présence quelques semaines avant les présidentielles, casser l'espèce d'accord informel en train de se réaliser entre la direction historique des vieillards de la Confrérie et le pouvoir égyptien.

 Plus que l'aspect "symbolique" de ville de Sharm el-Cheikh, c'est la certitude, comme à Taba, que toute action entraînera la mort d'étrangers occidentaux qui en fait un objectif de choix. C'est le plus sûr moyen d'avoir un retentissement médiatique international.

 Cela dit, il n'y avait nul besoin d'établir une concertation entre les deux types d'opération qui n'ont rien à voir entre elles. Donc pas besoin de "tête pensante".

 Elles s'inscrivent néanmoins dans une stratégie duale classique des Frères : déstabiliser les régimes arabes pour les faire tomber - dégoûter à ce point les Occidentaux du monde arabe qu'ils n'auront pas envie d'y mettre les pieds.

 Comment Al Qaïda réussit-elle à trouver les moyens financiers pour organiser de telles attaques ?

 Une opération comme celle de Londres peut être évaluée à quelques centaines d'euros, celle de Sharm el Cheikh à quelques milliers. Pas besoin de se casser la tête pour trouver de telles sommes.

 Ce qui coûte cher c'est tout ce qui se trouve en amont et en aval : construction et entretien des mosquées et écoles fondamentalistes, salaires des Imams et agents d'influence intégristes, prise en charge des familles des "martyrs", etc. Et là, on sait très bien d'où vient l'argent à travers les fondations et banques des pétromonarchies. Mais comme ce sont des transferts qui n'ont pas la violence comme objectif direct, ils ne tombent sous le coup d'aucune loi nationale ou internationale.

La base arrière afghane est moins opérationnelle. Où se fait -et se fera- la "formation" des terroristes : localement ou lors de voyages à l'étranger dans des camps d'entraînement ?

Il n'y a plus de base arrière afghane, et il n'y en a pas vraiment besoin.

Transporter une charge explosive dans un sac à dos et se faire sauter avec en semant les indices derrière soi comme le Petit Poucet ne demande ni formation particulière ni entraînement approfondi. Les recettes de cocktails explosifs traînent partout sur internet et ne sont pas très difficiles à mettre en oeuvre si on n'est pas trop regardant sur la sécurité...ce qui est le cas des kamikazes. Mon fils sait mettre en route à distance une chaudière avec un téléphone portable, alors faire sauter une bombe par le même moyen est à la portée des bidouilleurs en herbe.

 Ni les terroristes de Casablanca, ni ceux de Madrid, ni ceux de Londres, ni probablement ceux de Sharm el-Cheikh, ne sont passés par des camps d'entraînement militaires. Certains ont participé à des camps "idéologiques" ici ou là. Le passage par une formation militaire obligerait à les considérer comme des professionnels de l'action armée et à les protéger comme tels. Ce serait contraire à la stratégie des Frères pour lesquels le "martyr" fait partie de l'opération. Il faut le sang des victimes, bien sûr, mais aussi celui des exécutants pour que personne ne s'interroge sur la méthode et ne la mette en doute.

Qu'en est-il concrètement de la coordination anti-terroriste en Europe ? Les bonnes intentions se retrouvent-elles sur le terrain ?

Contrairement aux idées reçues, la coordination anti-terroriste en Europe (ou entre l'Europe et les États Unis), qu'elle soit judiciaire, policière ou de renseignement, fonctionne plutôt bien, voire très bien, quand elle s'applique à des personnes identifiées ou à des organisations hiérarchisées, structurées et professionnelles. Évidemment quand "ça marche", ce qui aurait pu se produire ne se produit pas et donc personne n'en parle...

Le problème est que cette coopération internationale est d'une utilité limitée quand les candidats terroristes sont choisis dans la société d'accueil, parmi des personnes sans antécédents judiciaire ou policiers sérieux, et qui ont très peu voyagé.

Or ce type de recrutement est caractéristique des Frères Musulmans. Les exécutants doivent être choisis dans les sociétés d'accueil de façon a renforcer le mur d'incompréhension et de haine entre les communautés. Faire agir des exécutants "étrangers" risquerait à l'inverse de souder les communautés d'accueil et les communautés immigrées dans un front commun contre la violence.

Plus globalement, comment lutter efficacement contre le terrorisme alors que l'ONU n'est même pas capable de s'accorder sur une définition ?

Si on devait s'accorder sur une définition du terrorisme à l'ONU, il faudrait y inclure les viticulteurs de l'Aude qui incendient les camions de vin espagnols et prennent les chauffeurs en otage. Je ne suis pas sûr que les Français y soient prêts...

Pour reprendre une image triviale que j'ai transmise récemment : Si vous avez un couple de chats dont vous ne voulez pas les chatons, vous pouvez toujours noyer ces derniers. Votre couple de chats vous en refera obstinément une portée dans quatre mois et cela durera tant que vous n'aurez pas stérilisé les parents.

En gros, dans toutes ces affaires, on s'intéresse toujours aux effets et jamais aux causes. Le problème n'est pas celui des exécutants dont le vivier est quasi-inépuisable. Le problème est celui de ceux qui les manipulent (essentiellement les extrémistes de la Confrérie des Frères Musulmans) et de ceux qui financent ces derniers (essentiellement des personnes publiques et privées des pétromonarchies).

Ceci n'exclut pas que l'on doive essayer d'assécher le vivier par plus de compréhension, de respect et de dignité à accorder aux laissés pour compte du monde arabe et musulman.

Sources : http://alain.chouet.free.fr/documents/faq12.htm

Site d'Alain Chouet

 

 

 

 

 

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