A Bagdad, on ne vit plus, on survit

Publié le par Adriana Evangelizt

«A Bagdad, on ne vit plus, on survit»

par Feurat Alani

IRAK. Le nouveau plan de sécurité «Ordre et loi» ne convainc pas les Bagdadis, blasés et habitués au pire.

Rana, jeune mère d'une fille et d'un garçon, en rêve. Moderne, musulmane pratiquante mais ne portant pas le voile, Rana s'est mariée en plein embargo, il y a dix ans, et elle a connu trois guerres consécutives. Elle habitait dans un quartier mixte souvent cible d'attentats en plein centre de Bagdad, près de la zone verte ultraprotégée - le quartier des institutions et des ambassades. Après des menaces à l'encontre de sa famille, elle et son mari, Laith, décident de déménager à l'ouest de la capitale dans l'arrière-boutique d'un proche. A l'abri des regards.

Assise sur un canapé, sous la lumière tamisée de quelques bougies, faute d'électricité, elle remarque que le quatrième anniversaire de l'entrée des troupes américaines en Irak approche.

Ce qui a réellement changé dans les rues irakiennes? «Rien», lance-t-elle. Ce qu'elle attend du nouveau plan de sécurité mis en place à Bagdad? Même réponse. Les jeunes comme les plus vieux sont fatigués de vivre au rythme des coupures de courant et «comme des machines», déplore la jeune mère à la silhouette fine. «Pourquoi nos conditions de vie ne progressent-elles pas alors qu'il suffit de creuser un trou pour trouver du pétrole en abondance?» interroge-t-elle avec ironie. Une manière de poser la question, rarement évoquée: «Mais où va donc notre pétrole?» En attendant une éventuelle réponse, Rana doit élever ses enfants au milieu des bombes, des enlèvements et des violences interconfessionnelles.

Confinés à la maison, ses enfants connaissent par cœur les gestes de survie en cas d'attaque. «Si ça explose, il faut s'éloigner des fenêtres et des portes. Et surtout s'allonger à plat ventre au pied du mur. Si possible, derrière le canapé», récite Saadallah, du haut de ses 6 ans. A plusieurs reprises, les vitres de la maison ont volé en éclats. Avec sa sœur, Sarah, ils prennent le chemin de l'école à pied et souvent seuls. «Dans la classe, raconte-t-il, il y a souvent des chaises vides, et les fenêtres n'ont plus de vitres.» Ses camarades de classe se font de plus en plus rares. Comme les instituteurs. En Irak, les écoles publiques ferment... et les cours privés font florès. Pour des raisons de sécurité, les enseignants se reconvertissent dans les cours particuliers à domicile. Ainsi, dans l'enseignement public, «la bataille est perdue d'avance», confie une institutrice, elle-même démissionnaire. Les enseignants et les bus scolaires sont la cible d'attentats. Aujourd'hui, le taux de scolarisation est au plus bas à cause de l'insécurité. En témoignent les parents inquiets qui attendent leurs enfants à la sortie de l'école. Un jour d'été, un missile avait touché la cour de l'établissement. Bilan: trois victimes. Toutes étaient des enfants. Il y a aussi la peur de l'enlèvement qui se lit sur leurs visages.

Rana, elle, attend seule. Il est loin le temps où elle vivait dans sa belle maison au centre de Bagdad, lorsqu'un chauffeur de taxi allait chercher ses enfants et les accompagnait jusque devant la porte du jardin. Mais, depuis les points de contrôle incessants et les embouteillages monstres à Bagdad, il a renoncé à venir dans ce quartier de l'ouest réputé dangereux. Parce qu'elle doit bien vivre, Rana va faire les courses parfois au péril de sa vie. Lorsqu'elle se rend au marché, une bombe peut exploser à tout moment. La jeune femme en est consciente. «J'y vais bon gré mal gré. De toute façon, je n'ai pas le choix», concède-t-elle.

Quasi quotidiennement, les grands marchés de Bagdad, comme le très fréquenté «Chorja» au centre-ville, sont la cible d'attentats meurtriers. Son mari, Laith, travaille dans les commerces en gros de «Jamila», à l'est de Bagdad. Ce dernier ne parle plus beaucoup. La plupart de ses amis ont quitté le pays. Ils font partie de ces deux millions d'Irakiens qui ont choisi la Jordanie et la Syrie pour exil. C'est sur les bancs de l'université que Rana et Laith s'étaient rencontrés. Contrairement à d'autres couples parfois issus de mariages arrangés, ils sont tous les deux tombés amoureux l'un de l'autre. Dans une société à mi-chemin entre tradition et valeurs occidentales, il est difficile pour les deux sexes de se parler hors du cadre familial. «L'université est le seul lieu de rencontre officieusement autorisé», confie Rana. «Notre priorité aujourd'hui, c'est la survie de notre famille, de nos enfants. Qu'ils aillent à l'école, qu'ils mangent à leur faim.» Il y a également ce sentiment de confiance qui a été remplacé par la paranoïa. «Même entre voisins de palier, l'inquiétude règne. On ne dit jamais où l'on va. On essaie de se faire discret. Souvent, les enlèvements sont commis par des voisins», affirme-t-elle. Elle regrette le temps où elle pouvait sortir avec ses amies au volant de sa voiture sans risquer d'être prise pour cible par un attentat ou d'être prise entre deux feux lors d'un accrochage armé. A Bagdad, l'histoire de cette famille ressemble à beaucoup d'autres. Les jours défilent avec les mêmes problèmes récurrents. Amer constat ou réel pessimisme de leur part, les Irakiens ne vivent plus. Ils survivent. Et ne rêvent que d'une chose: fuir le pays.


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La Chambre désavoue la guerre en Irak


Vote symbolique au Congrès américain.



La Chambre des représentants américaine a symboliquement désavoué vendredi la stratégie du président George Bush en Irak, avant d'ouvrir dans les semaines qui viennent un débat sur le financement de la guerre qui divise la nouvelle majorité démocrate. Par 246 voix contre 182, les parlementaires ont désapprouvé l'envoi de 21500 militaires supplémentaires, avec le soutien de la quasi-totalité du bloc de la majorité démocrate et de 17 élus appartenant au parti républicain du président Bush. Six parlementaires se sont abstenus.

Ce texte non contraignant représente le plus cinglant désaveu jamais essuyé par le président George Bush sur sa conduite de la guerre. Il stipule en dix lignes que «le Congrès désapprouve la décision du président George Bush annoncée le 10 janvier 2007» d'envoyer des renforts, et que «le Congrès et le peuple américain vont continuer à soutenir et protéger les membres des forces armées américaines qui servent ou ont servi courageusement et honorablement en Irak».

Pas une surprise

Le vote a eu lieu après une minute de silence réclamée par la majorité en hommage aux combattants et a mis fin au débat le plus solennel jamais organisé sur la guerre en Irak depuis l'invasion de mars 2003, après avoir permis à tous les représentants qui le souhaitaient de prendre position. Pour la nouvelle majorité démocrate, le vote illustre la prise en compte des préoccupations des électeurs qui lui ont confié la gestion du Congrès en novembre.

La Maison Blanche ne se faisait guère d'illusion sur l'issue défavorable du vote. George Bush «a très clairement indiqué que le Congrès a le droit d'exprimer son opinion», a souligné vendredi un porte-parole. «Le débat important commencera quand on parlera du soutien que le Congrès accordera ou non aux militaires», a-t-il ajouté, allusion au débat des semaines à venir, quand il s'agira de voter le budget de la «guerre contre le terrorisme», à commencer par un collectif de plus de 93 milliards de dollars pour 2007.

Le débat sur l'Irak se prolongera ce samedi au Sénat, où il avait tourné court il y a dix jours: l'état-major démocrate a sacrifié un congé parlementaire pour organiser un vote de procédure sur la résolution de la Chambre. Il risque d'échouer une nouvelle fois, mais, pour l'influent démocrate Charles Schumer, peu importe: «Nous faisons peu à peu monter la pression sur le président, et nous allons continuer», a-t-il prévenu vendredi.

Sources
Le Temps

Posté par Adriana Evangelizt

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